25 mai 2008

L’angoisse du gardien de but au moment du penalty

Une expérience après l'autre, la psychologie économique nous démontre que les gens font souvent des choix peu rationnels -- au sens de la rationalité en finalité (*). Même quand les enjeux sont considérables et que les individus concernés ont l'expérience de ce genre de situation. C'est typiquement le cas du gardien de but au moment du penalty. L’enjeu est considérable, puisqu'un arrêt peut sceller le sort du match. En deux ou trois dixièmes de secondes, le gardien doit décider s’il plonge à droite, s’il plonge à gauche, ou s’il ne bouge pas -- ie s'il reste au milieu. La décision du tireur et celle du gardien étant quasi-simultanées, l’incertitude est totale. Comment se comporte un gardien de but expérimenté au moment du penalty ?
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Pour le savoir, une équipe de psychologues israéliens a étudié 286 penaltys tirés en Coupe d’Europe ou en Coupe du Monde (**). Dans 94 % des cas, les gardiens ont choisi de plonger d’un côté ou de l’autre. Ils ont choisi de ne pas bouger dans seulement 6 % des cas, alors même que 29 % des penaltys ont été tirés au milieu.
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Si l'on calcule la proportion de penaltys arrêtés, il apparaît que la stratégie la plus efficace était de ne pas bouger. Sur les 286 penaltys tirés et cadrés, le gardien a plongé à droite 141 fois, dont 20 avec succès (soit un taux de réussite de 12,6 %) ; il a plongé à gauche 91 fois, dont 16 avec succès (taux de réussite : 14,2 %) ; il a choisi de ne pas bouger 18 fois, dont 6 avec succès (taux de réussite : 33.3 %). .


Si la probabilité d’arrêter le penalty est la plus grande quand le gardien ne bouge pas, comment expliquer qu'il choisisse de plonger 94 fois sur 100 ? La raison est probablement la suivante : la décision du gardien est biaisée par une forte préférence pour l’action (action bias). Dans un contexte où la norme est qu’il faut faire quelque chose, le gardien choisit d’agir : il plonge, tantôt à gauche, tantôt à droite. De cette façon, même s’il n’arrête pas le penalty, il pourra toujours se dire qu’au moins il a fait quelque chose. A l’inverse, s’il choisit de ne pas bouger, et qu’il encaisse le but, il aura l’air idiot -- éventuellement, le public, ses copains le chambreront --, et ses regrets seront plus grands. Autrement dit, tout se passe comme si un but encaissé sans bouger était plus dur à digérer qu’un but encaissé en bougeant.

Ce type de biais affecte nos décisions dans de nombreux domaines, avec des conséquences parfois beaucoup plus graves. Ainsi, en politique, les préceptes du queuillisme (***) ne valent qu’en période de prospérité. En temps de crise, ne pas agir est souvent le meilleur moyen de perdre les élections. Pourtant, au vu des conséquences parfois désastreuses des décisions prises sous la pression du public, le mieux est souvent de ne rien faire. Le Washington Post donne l'exemple de la guerre en Irak. Après le 11 septembre, les dirigeants américains se sont sentis obligés de faire quelque chose. De ce point de vue, la position d'Hillary Clinton est révélatrice du climat de l'époque. Le 10 octobre 2002, au Sénat, elle justifiait en ces termes l'emploi de la force contre Saddam Hussein : « si l’on pèse les risques de l’action et ceux de l’inaction, j’estime que les New Yorkais, qui ont vu récemment les flammes de l’enfer, sont plus sensibles aux risques de ne rien faire. Je sais que je le suis ». (****)


Notes

(*) Pour un aperçu des nombreuses "anomalies" mises en évidence par la psychologie économique, cf. Psychologie et Economie -- L'homo oeconomicus à l’épreuve de l’économie comportementale -- recension de l'ouvrage de Dan Ariely : C'est (Vraiment ?) Moi Qui Decide, qui vient de sortir chez Flammarion.

(**) Référence : Action bias among elite soccer goalkeepers: The case of penalty kicks (pdf), Bar-Eli, Michael, Azar, Ofer H., Ritov, Ilana, Keidar-Levin, Yael and Schein, Galit. Journal of Economic Psychology, 2006. Cf. le compte rendu du New York Times : The Art of the Save, for Goalie and Investor, et celui du Washington Post : Hillary Clinton and the action bias (pdf)

(***) Henri Queuille, qui fut de presque tous les gouvernements entre 1920 et 1954 (sauf de juin 1940 à la Libération), avait coutume de dire : «Il n'est aucun problème politique qui ne puisse se résoudre par l'inaction

(****) En temps normal, quand il n'y a pas péril en la demeure, la norme est plutôt de ne rien faire. Comme le montre cette expérience étonnante, relatée par Kahneman et Tversky (The Scientific American, 1982). A la question : « Paul possède des actions de l’entreprise A. Il envisageait de les vendre pour acheter des actions de l’entreprise B, et puis il s’est ravisé. Un an plus tard, Paul se rend compte que le changement lui aurait fait gagner 1 200 $. De son côté, George possédait des actions de l’entreprise B, mais il les a vendu pour acheter des actions de l’entreprise A. Aujourd’hui, il se rend compte que le changement lui a fait perdre 1 200 $. Qui, de Paul ou de George, a le plus de regret ? » -- la grande majorité des sujets répondirent que Georges, celui qui a perdu 1 200 $, avait plus de regrets que Paul, qui ne les a pas gagnés. Tous deux ont été mal avisés, mais l'un a agi et l'autre pas. Or, l'inaction minimise les regrets. Si l'on ajoute que les gens ont plus de mal à se représenter le coût d'opportunité de l’inaction que celui de l’action, ne rien faire constitue en pareil cas la position par défaut.

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