22 mai 2008

Les moeurs et le droit : l'adultère en Corée du Sud

Dans un article paru cette semaine, le correspondant coréen du New York Times rend compte d'une affaire de moeurs riche d'enseignements. Accusée d'infidélité par son mari, Mme Ok conteste la constitutionnalité de la loi coréenne sur l'adultère. Cette loi, vieille de plus d'un demi siècle, prévoit une peine maximale de deux ans de prison pour les coupables. A un moment où le taux de divorce en Corée a rejoint et même dépassé le nôtre (*), la loi sur l'adultère paraît anachronique.

Quand la loi n'est plus adaptée à l'état social, quand elle n'est plus en phase avec les valeurs dominantes, elle devient illégitime. "N'ayant plus de base dans les mœurs", elle "ne se soutient que par la force" (Durkheim, DTS). Certes, avec le temps, le droit s'adapte : la loi est de moins en moins appliquée, ou de façon moins rigoureuse (eg, chez nous, la loi de 1970 sur la prohibition du cannabis). Tôt ou tard, la loi sera changée. Mais, dans l'intervalle, la société n'est plus convenablement régulée : « on ne sait plus ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est juste et ce qui est injuste, quelles sont les revendications et les espérances légitimes, quelles sont celles qui passent la mesure. » (Le Suicide)

Est-ce à dire que la Cour constitutionnelle de Corée doit abroger la loi sur l'adultère ?
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Il est possible que la culture d'une nation change moins vite que ses structures économiques et sociales. Au vu des sondages, 70 % des coréens sont favorables au statu quo. Il est vrai aussi qu'un grand nombre de femmes vivent toujours sous la dépendance de leur conjoint. Pour ces femmes, la loi sur l'adultère reste une arme, parfois la seule, contre l'oppression du mari.

(*) le taux de divorce a augmenté pour les mêmes raisons que chez nous. Sur l'évolution du divorce en Corée, cf. ce bon
article du New York Times.

Une affaire de moeurs devient un drame de cour
de CHOE SANG-HUN -- New York Times, May 19, 2008
(ma traduction, assez libre)
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L’affaire a fait la une des tabloïds: un célèbre acteur de feuilletons accuse sa femme, une autre star de la télévision populaire, de l’avoir trompé avec son meilleur ami, et aussi avec le chef italien qui lui donnait des cours de cuisine. L'acteur, Chul Park, se constitue partie civile contre sa femme, Ok So-ri, et ses amants présumés, en application de la loi coréenne sur l’adultère. Cette loi, instituée en 1953, interdit les relations extraconjugales et prévoit pour les coupables une peine maximale de deux ans de prison.

Mais Mme Ok, 39 ans, décide de contre-attaquer. Avec un cran exceptionnel pour une femme coréenne impliquée dans une affaire de moeurs, elle convoque une conférence de presse. Après avoir confirmé sa relation avec l'ami de son mari (mais nié toute aventure avec le chef italien), elle dresse un tableau très noir de sa vie conjugale : "mon mariage m’a laissée très seule et insatisfaite parce que mon mari ne m’aimait pas", dit Mme Ok, en refoulant ses larmes. "Nous n’avons eu qu’une dizaine de rapports sexuels en onze ans de mariage !" Elle explique aussi qu’elle a décidé de contester devant la Haute cour la constitutionnalité de la loi sur l’adultère. Les poursuites contre Mme Ok sont suspendues dans l’attente d’une décision de la Cour constitutionnelle. C’est ainsi qu’une banale affaire civile est devenue une affaire nationale, suscitant de vifs débats sur l'évolution des mœurs et du droit.

Comme de nombreux pays, la Corée du Sud a longtemps appliqué un double standard sur l’adultère. Il y a peu, les femmes s’exposaient à l'ostracisme – elles étaient même rejetées par leur famille d'origine – si elles trompaient leurs maris, mais les hommes, en particulier les plus riches, pouvaient sans risque entretenir des concubines. Aujourd’hui, malgré la persistance d’un certain puritanisme - l'éducation sexuelle dans les écoles n’est toujours pas à l’ordre du jour - le code social semble s’être quelque peu assoupli. Le divorce est de plus en plus fréquent, et les love hotels, fréquentés notamment par les couples illégitimes, se multiplient.

Dans ces conditions, les partisans de la loi sur l'adultère y voient le dernier rempart contre la culture de liberté sexuelle à la manière occidentale. De leur côté, les opposants y voient juste un anachronisme. "L'Etat n’a pas à s’ingérer dans le choix de nos partenaires sexuels - c'est trop !," déclare Lim Sung-bin, l'avocat de Mme Ok. "Ce temps est révolu."

La Corée du Sud est l’un des derniers pays non-musulmans où une condamnation pour adultère peut valoir une peine de prison. Chaque année, plus de 1200 personnes sont inculpées en vertu de la loi, dont environ la moitié sont condamnés. Or, si l’on en croit les dernières enquêtes réalisées, 70 pour cent des Coréens sont partisans du statu quo.

"Certains font valoir que la loi n’a pas à regarder sous la couette", a déclaré Han Sang-dae, un fonctionnaire du Ministère de la Justice qui a défendu la constitutionnalité de la loi à l'audience. "Mais, si nous admettons le principe de la liberté sexuelle jusque dans les relations extra-conjugales, c’est notre morale qui est menacée, et la monogamie, fondement de notre société."

La Cour constitutionnelle a déjà statué à trois reprises en faveur de la loi sur l’adultère, la dernière fois en 2001. Mais il s’agissait de cas moins médiatiques. Surtout, la loi perd peu à peu ses défenseurs historiques. Deux champions de longue date des droits de la femme – l’Association des femmes coréennes et le Ministère pour l'égalité des sexes – admettent que le moment est venu d'abroger cette loi.

Jusque là, les organisations de femmes avaient été les plus ardents soutiens de la loi. Traditionnellement, l’adultère était le fait des maris. Aussi la plupart des plaintes étaient-elles déposées par les femmes. La loi donnait à ces femmes une arme, souvent la seule, contre l’infidélité des maris. De nos jours, avec l’amélioration de leur statut économique et juridique, beaucoup de femmes n’ont plus peur du divorce, et n’ont plus besoin de la protection de la loi. Au moment où de plus en plus d'hommes invoquent désormais la loi contre des épouses infidèles, ces femmes trouvent même à la loi plus d’inconvénients que d’avantages.

Les opposants expliquent aussi que la loi est impossible à appliquer, en raison des grandes difficultés d’administration de la preuve. Une condamnation exige en effet que soit formellement établie la preuve de relations sexuelles. C’est pourquoi certains conjoints suspicieux n’hésitent pas à fomenter de véritables raids dans les chambres des motels, accompagnés de policiers. Les sanctions sont plutôt indulgentes. L'an dernier, seulement 47 personnes reconnues coupables d'adultère ont fini derrière les barreaux.

Malgré tout, beaucoup pensent qu'il est encore trop tôt pour abroger la loi. Dans un pays où de nombreuses femmes subissent en silence l’infidélité de leur mari, par crainte du divorce et de la misère qui s'ensuit, la loi leur permet de négocier un meilleur règlement financier ou d'obtenir la garde des enfants, explique Mme Kwak. Pour Ha Ji-eun, étudiante à l'Université féminine Ewha, la protection de loi est toujours indispensable. "Il n’y a pas si longtemps, à l’époque de mes grands-parents, les hommes pouvaient battre leur femme et recevoir des concubines. Si la loi est abrogée, je suis sûre que les femmes souffriront davantage ".

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