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“We have to tell people that diamonds are valuable. We are trying to maintain the price, just as De Beers did, as all diamond producing countries do. But what we are doing is selling an illusion.”
Aleksandr Malinin, conseiller d’Alrosa, New York Times, 12 Mai 2009
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Pourquoi les diamants sont-ils si chers ?
Un diamant est objectivement moins utile qu'un mètre cube d'eau, et pourtant, il vaut beaucoup plus cher. La raison en est que son utilité marginale est beaucoup plus élevée. Les économistes appellent utilité marginale d’un bien le supplément de satisfaction procuré par une unité additionnelle de ce bien. Hors circonstances exceptionnelles (eg, perdu dans le désert...), un diamant ajoute plus à l'utilité des individus qu'un mètre cube d'eau ; c'est pourquoi les gens sont prêts à payer le premier plus cher que le second. Pour autant, l'utilité totale de l'eau (l'utilité cumulée de tous les mètres cubes consommés) est beaucoup plus élevée que celle des diamants. De fait, les gens dépensent ordinairement davantage en eau qu'en diamants. Mais, les diamants étant beaucoup plus rares que l'eau, leur utilité marginale est aussi plus élevée [1].
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Le problème est que la rareté du diamant repose sur une illusion. Le diamant est rare parce que ceux qui le produisent ont fait en sorte qu’il le soit, ou du moins, que les acheteurs le croît. Depuis la fin du 19ème siècle, le cartel du diamant s’emploie avec succès à préserver cette illusion. La nature très particulière de la demande y est sans doute pour beaucoup.
1. Le cartel du diamant
Le moyen le plus évident d’organiser la rareté, c’est de limiter l’offre en stimulant la demande.
(i) Contrôler l’offre
1. Le cartel du diamant
Le moyen le plus évident d’organiser la rareté, c’est de limiter l’offre en stimulant la demande.
(i) Contrôler l’offre
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Blood Diamond Script - Archer meets Simmons in London.
Simmons : A month ago, officers of this company sat in front of the United Nations and pledged to uphold a ban on “conflict” diamonds. We are no longer accepting the stones you supply. I’m truly sorry you’ve come all this way, but our relationship is officially over [2].
Archer : You’re losing your hold on the global market. Big finds in Russia, Canada. You need me more than ever.
Simmons : You don’t plan to lecture me on the trade, do you ?
Archer : The trade ? Oh, that has such a nicer ring to it than “cartel”. “Cartel” is for Columbian drug dealers and oil sheiks. It’s so… unbecoming. You’ve got eight billion dollars worth of stones gathering dust in those vaults downstairs. If you didn’t keep ’em off the market, that rock on your finger would cost less than your shoes.
Simmons : Fine. Write a book. Tell the BBC.
Archer (continuing over him) : Which is why it would be a shame if, say, another company got all the press, not to mention the profits, from the largest pink ever to find its way to market.
Simmons : You’re bluffing.
Archer : Probably. But if I’m not, you’re going to be the one to explain to Mr De Wente how it happened.
Simmons : What are you asking ?
Archer : Ten percent of market as a finder’s fee.
Simmons : Five.
Archer : Seven.
Simmons : Agreed.
L’empire De Beers
En 1870, on découvre de gros diamants dans la vallée de l'Orange, sur les terres des frères De Beers, des fermiers. C’est la ruée vers le diamant. A l’époque, Cecil Rhodes fournit les prospecteurs en vivres et en eau, vidange leurs concessions. Avec l’argent gagné, il achète des concessions, tant et si bien qu’il se retrouve vite à la tête d'un petit empire : la « De Beers ». Il convainc les banques anglaises engagées dans l'achat de diamants de n’acheter qu’à lui. Grâce à cette entente, la concurrence est étouffée et les cours peuvent être stabilisés à un niveau très élevé. Le Syndicat de Londres est né. Quand Cecil Rhodes meurt, en 1902, la De Beers contrôle 95 % de la production mondiale !
De Beers possède alors l’essentiel des mines en Afrique du Sud, au Botswana et en Namibie, les plus gros producteurs mondiaux. Outre la production de ses mines, elle achète aussi tous les bruts que lui proposent les producteurs indépendants. A cet effet, Ernest Oppenheimer, le nouveau patron de la De Beers, crée en 1933 la Central Selling Organisation (CSO), une filiale chargée d'acheter et d’écouler rationnellement la production mondiale de diamants. Ceux-ci sont classés en fonction de leur taille, de leur couleur, de leur forme et de leur qualité, et stockés aussi longtemps que nécessaire, avant d’être vendus. De Beers n’ayant aucun intérêt dans la taille et la vente au détail, elle préfére vendre ses bruts à des clients triés sur le volet, choisis parmi les grands diamantaires de la planète. Dix fois par an, la CSO convoque à Londres ses clients, les « sightholders » -- « ceux qui ont le droit de voir », entre 100 et 200 personnes selon les années. Là, les heureux élus se voient attribuer une boîte contenant un certain nombre de diamants bruts. Le diamantaire n'a qu'un droit : celui de prendre son lot tel quel. Il ne peut ni changer le contenu, ni marchander les prix, ni discuter la qualité. C'est à prendre ou à laisser, aux prix indiqués par De Beers. Le « sightholder » doit en outre s'engager à ne pas revendre les bruts mais à les façonner -- un autre moyen pour le Syndicat de réguler le stock de diamants sur le marché. Comme producteur ou comme acheteur, De Beers contrôle ainsi 80 % de l’offre mondiale. Stockés dans les coffres de la CSO, les diamants sont mis sur le marché parcimonieusement, pour préserver les prix et l’illusion de la rareté. [3]
Les autres acteurs de la filière tiraient avantage du monopole de la De Beers. Grâce à lui, les prix restaient élevés. Diamantaires et joailliers profitaient aussi des campagnes de publicité générique prises en charge par De Beers. Enfin, la CSO réduisait efficacement leurs coûts de transaction, en apportant une réponse efficace au problème des asymétries d’information : sans elle, l’acheteur d’un diamant aurait dû consacrer beaucoup de temps et d’expertise pour s’assurer de la qualité du produit, négocier les prix ; avec la CSO, la qualité est garantie, et tout le monde est soumis aux mêmes conditions. [4]
La fin du monopole
Ces dernières années, des compagnies concurrentes ont découvert et exploité d’énormes gisements diamantifères en Russie, au Canada, en Australie (cf. graph. ci-dessous), et l'israélien Lev Leviev s’est emparé des marchés russes, angolais et congolais. En 2003, la De Beers ne contrôle plus que 45 % de l’offre mondiale.
Archer : You’re losing your hold on the global market. Big finds in Russia, Canada. You need me more than ever.
Simmons : You don’t plan to lecture me on the trade, do you ?
Archer : The trade ? Oh, that has such a nicer ring to it than “cartel”. “Cartel” is for Columbian drug dealers and oil sheiks. It’s so… unbecoming. You’ve got eight billion dollars worth of stones gathering dust in those vaults downstairs. If you didn’t keep ’em off the market, that rock on your finger would cost less than your shoes.
Simmons : Fine. Write a book. Tell the BBC.
Archer (continuing over him) : Which is why it would be a shame if, say, another company got all the press, not to mention the profits, from the largest pink ever to find its way to market.
Simmons : You’re bluffing.
Archer : Probably. But if I’m not, you’re going to be the one to explain to Mr De Wente how it happened.
Simmons : What are you asking ?
Archer : Ten percent of market as a finder’s fee.
Simmons : Five.
Archer : Seven.
Simmons : Agreed.
L’empire De Beers
En 1870, on découvre de gros diamants dans la vallée de l'Orange, sur les terres des frères De Beers, des fermiers. C’est la ruée vers le diamant. A l’époque, Cecil Rhodes fournit les prospecteurs en vivres et en eau, vidange leurs concessions. Avec l’argent gagné, il achète des concessions, tant et si bien qu’il se retrouve vite à la tête d'un petit empire : la « De Beers ». Il convainc les banques anglaises engagées dans l'achat de diamants de n’acheter qu’à lui. Grâce à cette entente, la concurrence est étouffée et les cours peuvent être stabilisés à un niveau très élevé. Le Syndicat de Londres est né. Quand Cecil Rhodes meurt, en 1902, la De Beers contrôle 95 % de la production mondiale !
De Beers possède alors l’essentiel des mines en Afrique du Sud, au Botswana et en Namibie, les plus gros producteurs mondiaux. Outre la production de ses mines, elle achète aussi tous les bruts que lui proposent les producteurs indépendants. A cet effet, Ernest Oppenheimer, le nouveau patron de la De Beers, crée en 1933 la Central Selling Organisation (CSO), une filiale chargée d'acheter et d’écouler rationnellement la production mondiale de diamants. Ceux-ci sont classés en fonction de leur taille, de leur couleur, de leur forme et de leur qualité, et stockés aussi longtemps que nécessaire, avant d’être vendus. De Beers n’ayant aucun intérêt dans la taille et la vente au détail, elle préfére vendre ses bruts à des clients triés sur le volet, choisis parmi les grands diamantaires de la planète. Dix fois par an, la CSO convoque à Londres ses clients, les « sightholders » -- « ceux qui ont le droit de voir », entre 100 et 200 personnes selon les années. Là, les heureux élus se voient attribuer une boîte contenant un certain nombre de diamants bruts. Le diamantaire n'a qu'un droit : celui de prendre son lot tel quel. Il ne peut ni changer le contenu, ni marchander les prix, ni discuter la qualité. C'est à prendre ou à laisser, aux prix indiqués par De Beers. Le « sightholder » doit en outre s'engager à ne pas revendre les bruts mais à les façonner -- un autre moyen pour le Syndicat de réguler le stock de diamants sur le marché. Comme producteur ou comme acheteur, De Beers contrôle ainsi 80 % de l’offre mondiale. Stockés dans les coffres de la CSO, les diamants sont mis sur le marché parcimonieusement, pour préserver les prix et l’illusion de la rareté. [3]
Les autres acteurs de la filière tiraient avantage du monopole de la De Beers. Grâce à lui, les prix restaient élevés. Diamantaires et joailliers profitaient aussi des campagnes de publicité générique prises en charge par De Beers. Enfin, la CSO réduisait efficacement leurs coûts de transaction, en apportant une réponse efficace au problème des asymétries d’information : sans elle, l’acheteur d’un diamant aurait dû consacrer beaucoup de temps et d’expertise pour s’assurer de la qualité du produit, négocier les prix ; avec la CSO, la qualité est garantie, et tout le monde est soumis aux mêmes conditions. [4]
La fin du monopole
Ces dernières années, des compagnies concurrentes ont découvert et exploité d’énormes gisements diamantifères en Russie, au Canada, en Australie (cf. graph. ci-dessous), et l'israélien Lev Leviev s’est emparé des marchés russes, angolais et congolais. En 2003, la De Beers ne contrôle plus que 45 % de l’offre mondiale.
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Natif de l’ex-URSS, Lev Leviev a émigré en Israël. Installé à Tel Aviv, il devient l'un des principaux diamantaires de la place. Confronté à la toute puissance du Syndicat, il aspire à contourner son monopole. Grâce à sa maîtrise du russe, et à ses relations -- avec le mouvement Loubavitch et avec Vladimir Poutine, qu’il connaît depuis 1992 --, il met la main sur de nombreuses tailleries et officines de vente en Russie. Grâce aux liens historiques entre l'Angola et l'ex-URSS, il obtient du président Dos Santos des concessions minières, puis le monopole de la commercialisation des diamants du pays. Au Congo, il fait affaire avec Joseph Kabila, et prend le contrôle du commerce des bruts. Il parvient même à s'implanter en Namibie, un fief de la De Beers. Mais il n'en reste pas là, et s’engage dans une ambitieuse stratégie d'intégration verticale, en ouvrant ses propres joailleries, à New York, Londres, Paris, Moscou, Dubaï, … "En quinze ans à peine, écrivent Les Echos, Lev Leviev a ainsi totalement bouleversé le modèle économique du diamant. A la stratégie du robinet poursuivie pendant des lustres par De Beers - le contrôle de la vente des diamants aux diamantaires - il a substitué la stratégie de la mine à la maîtresse, soit le contrôle de l'ensemble de la filière". [5]
La nouvelle stratégie de la De Beers
De Beers s’est adapté à la nouvelle donne en changeant radicalement sa stratégie. En premier lieu, la CSO est démantelée. Pour se conformer au droit de la concurrence américain et européen, la De Beers a renoncé au monopole et à l’achat systématique de tout brut. Elle vend désormais des bruts choisis à des clients choisis (suppliers of choice). En second lieu, pour se prémunir contre une éventuelle OPA, De Beers n’est plus cotée en bourse. Son capital est contrôlé à 40 % par la famille Oppenheimer, à 45 % par son partenaire l’Anglo American et à 15 % par le gouvernement du Botswana, où elle réalise l’essentiel de sa production. En troisième lieu, De Beers ajuste au plus près la production de ses mines en fonction de la demande. Ainsi, au premier trimestre 2009, en pleine récession mondiale, la firme a réduit sa production de 91 % ! Last but not least, De Beers s’aventure à l’autre bout de la chaîne : en 2001, elle s’est associé avec l’empire du luxe, LVMH, pour créer une chaîne de boutiques avec sa propre ligne joaillière. La nouvelle entité, De Beers LV, dotée d’un capital de départ de 500 millions de $, entend ouvrir 150 boutiques dans le monde entier, en s’appuyant sur la force d’une marque qui jouit d’une reconnaissance mondiale. Les diamants utilisés pour les collections joaillières sont achetés sur le marché libre, essentiellement auprès des sightholders. Le label De Beers est gravé au laser sur la table de chaque diamant, en plus d’un code identifiant le diamantaire et la boutique. [6]
Le rôle pivot des Russes
En 2009, la compagnie Alrosa (contrôlée à 90 % par l’Etat russe) est devenue le premier producteur mondial de diamants. Las ! Elle n’a pas vendu le moindre brut depuis décembre 2008, préférant stocker sa production dans l’attente de jours meilleurs. Car le marché global du diamant de taille n’est pas au mieux: le chiffre d’affaires est tombé à 12 milliards de $ en 2009, après 21,5 milliards de $ en 2008. L’an dernier, De Beers produisait encore 40 % des diamants bruts dans le monde, contre 25 % pour Alrosa. Mais De Beers, qui n’a plus le droit de stocker ses diamants après l’accord passé avec l’Union Européenne, a fermé ses mines en réponse à la baisse de la demande. Alrosa n’a pu en faire autant, car les autorités russes tiennent à ménager les ouvriers, en les maintenant coûte que coûte en activité. En conséquence, les Russes sont devenus les arbitres du marché. Leurs décisions de production et de vente vont déterminer les prix du diamant dans les années à venir. Pour maintenir les prix, les Russes ont eu recours à plusieurs techniques. D'abord, ils ont rempli les coffres créés autrefois par les bolcheviques pour entreposer les bijoux confisqués aux aristocrates après la révolution. Ensuite, avec l’aide de la banque d’affaires Leader, une filiale de Gazprom, Alrosa espère convaincre des investisseurs privés et quelques gros clients à Anvers, Tel Aviv ou Bombay d’acheter ses diamants à un prix intéressant – ils n’ont plus qu’à attendre la reprise des cours pour les mettre sur le marché et réaliser une plus-value. Ce plan revient en quelque sorte à sous-traiter à des spéculateurs privés le coût du stockage des diamants. Enfin, les Russes ont convaincu la banque centrale d’Angola -- un pays qui croule sous les pétrodollars – d’acheter 30 % de la production des mines angolaises, afin de maintenir ces diamants hors du marché. [7] Jusqu'à présent, cette stratégie a permis de maintenir les cours :
La nouvelle stratégie de la De Beers
De Beers s’est adapté à la nouvelle donne en changeant radicalement sa stratégie. En premier lieu, la CSO est démantelée. Pour se conformer au droit de la concurrence américain et européen, la De Beers a renoncé au monopole et à l’achat systématique de tout brut. Elle vend désormais des bruts choisis à des clients choisis (suppliers of choice). En second lieu, pour se prémunir contre une éventuelle OPA, De Beers n’est plus cotée en bourse. Son capital est contrôlé à 40 % par la famille Oppenheimer, à 45 % par son partenaire l’Anglo American et à 15 % par le gouvernement du Botswana, où elle réalise l’essentiel de sa production. En troisième lieu, De Beers ajuste au plus près la production de ses mines en fonction de la demande. Ainsi, au premier trimestre 2009, en pleine récession mondiale, la firme a réduit sa production de 91 % ! Last but not least, De Beers s’aventure à l’autre bout de la chaîne : en 2001, elle s’est associé avec l’empire du luxe, LVMH, pour créer une chaîne de boutiques avec sa propre ligne joaillière. La nouvelle entité, De Beers LV, dotée d’un capital de départ de 500 millions de $, entend ouvrir 150 boutiques dans le monde entier, en s’appuyant sur la force d’une marque qui jouit d’une reconnaissance mondiale. Les diamants utilisés pour les collections joaillières sont achetés sur le marché libre, essentiellement auprès des sightholders. Le label De Beers est gravé au laser sur la table de chaque diamant, en plus d’un code identifiant le diamantaire et la boutique. [6]
Le rôle pivot des Russes
En 2009, la compagnie Alrosa (contrôlée à 90 % par l’Etat russe) est devenue le premier producteur mondial de diamants. Las ! Elle n’a pas vendu le moindre brut depuis décembre 2008, préférant stocker sa production dans l’attente de jours meilleurs. Car le marché global du diamant de taille n’est pas au mieux: le chiffre d’affaires est tombé à 12 milliards de $ en 2009, après 21,5 milliards de $ en 2008. L’an dernier, De Beers produisait encore 40 % des diamants bruts dans le monde, contre 25 % pour Alrosa. Mais De Beers, qui n’a plus le droit de stocker ses diamants après l’accord passé avec l’Union Européenne, a fermé ses mines en réponse à la baisse de la demande. Alrosa n’a pu en faire autant, car les autorités russes tiennent à ménager les ouvriers, en les maintenant coûte que coûte en activité. En conséquence, les Russes sont devenus les arbitres du marché. Leurs décisions de production et de vente vont déterminer les prix du diamant dans les années à venir. Pour maintenir les prix, les Russes ont eu recours à plusieurs techniques. D'abord, ils ont rempli les coffres créés autrefois par les bolcheviques pour entreposer les bijoux confisqués aux aristocrates après la révolution. Ensuite, avec l’aide de la banque d’affaires Leader, une filiale de Gazprom, Alrosa espère convaincre des investisseurs privés et quelques gros clients à Anvers, Tel Aviv ou Bombay d’acheter ses diamants à un prix intéressant – ils n’ont plus qu’à attendre la reprise des cours pour les mettre sur le marché et réaliser une plus-value. Ce plan revient en quelque sorte à sous-traiter à des spéculateurs privés le coût du stockage des diamants. Enfin, les Russes ont convaincu la banque centrale d’Angola -- un pays qui croule sous les pétrodollars – d’acheter 30 % de la production des mines angolaises, afin de maintenir ces diamants hors du marché. [7] Jusqu'à présent, cette stratégie a permis de maintenir les cours :
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Evolution des prix des diamants (un carat), selon la qualité, de janvier 2005 à janvier 2010 (source : Polishedprices.com)
(ii) Augmenter la demande
L’image du diamant a été construite et entretenue par d’intelligentes campagnes de marketing. N. W. Ayer & Son, l’agence de publicité à laquelle De Beers fit appel après la guerre, a réussi à redonner vie au marché américain et à ouvrir de nouveaux marchés, jusque dans des pays où l’usage d’offrir un diamant était inconnu. Fourni en diamants par De Beers, Ayers parvint à placer le produit auprès de personnes influentes et à créer une association étroite entre le diamant et le monde des célébrités (les stars et les princesses). A Hollywood, Ayers obtint que le diamant figure dans les scripts de nombreux films, mettant en scène les plus grandes stars de l’époque, et devienne même un sujet de film. De là vient que, dans de nombreuses comédies, le beau héro offre un solitaire à la femme aimée, dont les yeux émerveillés expriment une joie intense. Aujourd’hui encore, chacun connaît le film d’Howard Hawks : "Les hommes préfèrent les blondes” (1953), dans lequel Marilyn Monroe chante le célèbre Diamonds Are A Girls Best Friend, ou le James Bond : "Diamonds are forever", dans lequel Shirley Bassey chante la célèbre chanson du même nom. [8]
L’autre réussite d’Ayers, ce fut justement la campagne ‘Diamonds are Forever’, lancée en 1948 et jamais interrompue depuis. La publicité est ici centrée sur le diamant plutôt que sur la marque De Beers. Ce slogan a été désigné “the best advertising slogan of the twentieth century” par le magazine Advertising Age. De Beers ne cherche pas seulement à faire acheter des diamants par les hommes -- A ‘real man’ had to give your girl a diamond ! --, il veut aussi amener les femmes à les garder précieusement, pour les transmettre à leurs filles – A diamond is forever ! De fait, si les femmes thésaurisent leurs diamants, cela réduit l’offre sur le marché, contribuant à maintenir les prix.
Cf. La campagne « A diamond is forever » & A Valentine's Day Special (YouTube)
Cette stratégie marketing a été couronnée de succès, puisque les diamants sont devenus inséparables de l’idée d’amour et de mariage, quelque chose de précieux et d’éternel.
Un nouveau marché : la Chine
Les ventes de diamants dans le pays le plus peuplé du monde ont augmenté de 16.9% en 2009 (représentant un chiffre d’affaires de 150 milliards de $). Le marché chinois est désormais le deuxième marché du monde, devant le Japon et derrière les Etats-Unis. En Chine, le fait de pouvoir se payer un solitaire est devenu un signal de réussite sociale. Selon Lloyd C. Harris, professeur de marketing à Warwick Business School: "As consumers grow wealthier, they wish (publicly) to demonstrate their success via the symbols of capitalist success--diamonds are the ultimate status symbols." [9]
De Beers a exporté sa campagne "A diamond is forever" dans un pays où les bagues de fiançailles étaient jusque là serties d’or et de jade. En version chinoise, le fameux slogan s’énonce : "Zuan shi heng jiu yuan, yi ke yong liu chuan". Dix ans plus tard, le succès est fulgurant : en 2003, dans les grandes villes du pays, 51% des Chinoises ont reçu un solitaire avant de se marier, d’une valeur moyenne de 560 $ (source: De Beers). Tang Qi, un directeur artistique de 28 ans, a payé 1000 $, près de deux mois de salaire, pour offrir un solitaire à sa fiancée l’été dernier. « Le jade, c’est pour les vieux », dit-il. Les publicités créées pour De Beers par l’agence JWT résonnent chez les consommateurs chinois, qui découvrent juste les séductions du mode de vie des classes moyennes. On y voit par exemple des couples bien habillés qui s’offrent des vacances à la mer. De Beers a aussi convaincu les producteurs de séries télévisées d’ajouter des diamants dans leurs scripts. La télévision publique CCTV a même utilisé le script d’une publicité De Beers pour un épisode de sa série Pink Lady. Dans un restaurant, une jeune femme contemple dans un miroir le reflet du diamant qui pend à son cou. Un homme attablé un peu plus loin est si captivé par la scène que sa petite amie en prend violemment ombrage . [10]
L’image du diamant a été construite et entretenue par d’intelligentes campagnes de marketing. N. W. Ayer & Son, l’agence de publicité à laquelle De Beers fit appel après la guerre, a réussi à redonner vie au marché américain et à ouvrir de nouveaux marchés, jusque dans des pays où l’usage d’offrir un diamant était inconnu. Fourni en diamants par De Beers, Ayers parvint à placer le produit auprès de personnes influentes et à créer une association étroite entre le diamant et le monde des célébrités (les stars et les princesses). A Hollywood, Ayers obtint que le diamant figure dans les scripts de nombreux films, mettant en scène les plus grandes stars de l’époque, et devienne même un sujet de film. De là vient que, dans de nombreuses comédies, le beau héro offre un solitaire à la femme aimée, dont les yeux émerveillés expriment une joie intense. Aujourd’hui encore, chacun connaît le film d’Howard Hawks : "Les hommes préfèrent les blondes” (1953), dans lequel Marilyn Monroe chante le célèbre Diamonds Are A Girls Best Friend, ou le James Bond : "Diamonds are forever", dans lequel Shirley Bassey chante la célèbre chanson du même nom. [8]
L’autre réussite d’Ayers, ce fut justement la campagne ‘Diamonds are Forever’, lancée en 1948 et jamais interrompue depuis. La publicité est ici centrée sur le diamant plutôt que sur la marque De Beers. Ce slogan a été désigné “the best advertising slogan of the twentieth century” par le magazine Advertising Age. De Beers ne cherche pas seulement à faire acheter des diamants par les hommes -- A ‘real man’ had to give your girl a diamond ! --, il veut aussi amener les femmes à les garder précieusement, pour les transmettre à leurs filles – A diamond is forever ! De fait, si les femmes thésaurisent leurs diamants, cela réduit l’offre sur le marché, contribuant à maintenir les prix.
Cf. La campagne « A diamond is forever » & A Valentine's Day Special (YouTube)
Cette stratégie marketing a été couronnée de succès, puisque les diamants sont devenus inséparables de l’idée d’amour et de mariage, quelque chose de précieux et d’éternel.
Un nouveau marché : la Chine
Les ventes de diamants dans le pays le plus peuplé du monde ont augmenté de 16.9% en 2009 (représentant un chiffre d’affaires de 150 milliards de $). Le marché chinois est désormais le deuxième marché du monde, devant le Japon et derrière les Etats-Unis. En Chine, le fait de pouvoir se payer un solitaire est devenu un signal de réussite sociale. Selon Lloyd C. Harris, professeur de marketing à Warwick Business School: "As consumers grow wealthier, they wish (publicly) to demonstrate their success via the symbols of capitalist success--diamonds are the ultimate status symbols." [9]
De Beers a exporté sa campagne "A diamond is forever" dans un pays où les bagues de fiançailles étaient jusque là serties d’or et de jade. En version chinoise, le fameux slogan s’énonce : "Zuan shi heng jiu yuan, yi ke yong liu chuan". Dix ans plus tard, le succès est fulgurant : en 2003, dans les grandes villes du pays, 51% des Chinoises ont reçu un solitaire avant de se marier, d’une valeur moyenne de 560 $ (source: De Beers). Tang Qi, un directeur artistique de 28 ans, a payé 1000 $, près de deux mois de salaire, pour offrir un solitaire à sa fiancée l’été dernier. « Le jade, c’est pour les vieux », dit-il. Les publicités créées pour De Beers par l’agence JWT résonnent chez les consommateurs chinois, qui découvrent juste les séductions du mode de vie des classes moyennes. On y voit par exemple des couples bien habillés qui s’offrent des vacances à la mer. De Beers a aussi convaincu les producteurs de séries télévisées d’ajouter des diamants dans leurs scripts. La télévision publique CCTV a même utilisé le script d’une publicité De Beers pour un épisode de sa série Pink Lady. Dans un restaurant, une jeune femme contemple dans un miroir le reflet du diamant qui pend à son cou. Un homme attablé un peu plus loin est si captivé par la scène que sa petite amie en prend violemment ombrage . [10]
cf. la publicité De Beers en Chine : "blame it on diamond" (Youtube)
The International Diamond Board
Depuis que De Beers s’est engagée dans la promotion de sa propre ligne joaillière, Alrosa a dû assumer, seule, le financement de la publicité générique. En juillet 2008, les principaux acteurs du marché se sont mis d’accord pour créer l’International Diamond Board, doté d’un budget publicitaire annuel de 70 à 100 millions de $, une somme très en deçà des 200 millions de $ que dépensait De Beers. Mais la création de l’IDB a dû être repoussée, faute du soutien d’Alrosa. La compagnie russe a préféré lancer à l’automne l’ « Initiative Saint Petersburg », avec De Beers et d’autres grands producteurs. Il s’agit là encore de répartir collectivement le coût élevé de la publicité générique.[11]
Le cartel du diamant a donc de beaux jours devant lui. Son démantèlement serait désastreux pour tous les acteurs de la filière. Compte tenu de la nature unique du produit, la baisse des prix ruinerait les producteurs et desservirait les consommateurs.
2. Le diamant, un bien particulier
Dans le film "How to lose a Guy in Ten Days", Ben essaie de convaincre son patron et ses collègues qu'il a trouvé un meilleur moyen de vendre des diamants :
The International Diamond Board
Depuis que De Beers s’est engagée dans la promotion de sa propre ligne joaillière, Alrosa a dû assumer, seule, le financement de la publicité générique. En juillet 2008, les principaux acteurs du marché se sont mis d’accord pour créer l’International Diamond Board, doté d’un budget publicitaire annuel de 70 à 100 millions de $, une somme très en deçà des 200 millions de $ que dépensait De Beers. Mais la création de l’IDB a dû être repoussée, faute du soutien d’Alrosa. La compagnie russe a préféré lancer à l’automne l’ « Initiative Saint Petersburg », avec De Beers et d’autres grands producteurs. Il s’agit là encore de répartir collectivement le coût élevé de la publicité générique.[11]
Le cartel du diamant a donc de beaux jours devant lui. Son démantèlement serait désastreux pour tous les acteurs de la filière. Compte tenu de la nature unique du produit, la baisse des prix ruinerait les producteurs et desservirait les consommateurs.
2. Le diamant, un bien particulier
Dans le film "How to lose a Guy in Ten Days", Ben essaie de convaincre son patron et ses collègues qu'il a trouvé un meilleur moyen de vendre des diamants :
Ben : Now, to date, the diamond industry has always targeted men, sending the message that the woman needs the man to buy her the rock. All right, they say, "A diamond is forever." We say, "A diamond is for everyone."
Ben’s boss : I like that.
Spears : We don't. "A diamond is for everyone" sends the message that diamonds are everywhere, which means they're not rare, and if they're not rare, they lose their status. Status is the reason to buy them in the first place, which Benjamin would know if he understood women, which you don't.
Ben’s boss : I like that.
Spears : We don't. "A diamond is for everyone" sends the message that diamonds are everywhere, which means they're not rare, and if they're not rare, they lose their status. Status is the reason to buy them in the first place, which Benjamin would know if he understood women, which you don't.
Script de How to Lose a Guy in 10 Days (2003)
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Les diamants ont ceci de particulier qu'ils sont achetés par des hommes mais portés par des femmes. Habituellement, un homme achète un solitaire pour l'offrir à la femme qu'il aime. "Le don est gage par quoi le donateur s'engage" : ce diamant que l'on offre est un gage d'amour, par quoi l'on s'engage à aimer toujours - les diamants sont éternels... On offre un diamant pour envoyer un signal honnête, mais aussi pour faire comme les autres. Il s'ensuit que le prix n'est pas ici le déterminant essentiel de la demande. Il y a même tout lieu de penser que si les diamants coûtaient moins cher, ils seraient moins demandés !
Offrir un diamant, un signal coûteux [12]
Chez les oiseaux étudiés par Richard Dawkins, les femelles soumettent leurs prétendants à un véritable parcours du combattant. Pour arriver à leurs fins, ces derniers doivent patienter longtemps, et s’engager dans divers rituels de cour impliquant des investissements importants, comme la construction du nid et l’approvisionnement de la femelle en nourriture. De cette façon, les femelles parviennent à sélectionner parmi les mâles ceux qui ont tout à la fois la capacité et la volonté de s’engager dans une relation durable. De ce point de vue, le fait d’offrir un diamant à une femme remplit à peu près la même fonction que la construction du nid chez les oiseaux. Offrir un diamant est un signal coûteux qui véhicule une information fiable sur les qualités du prétendant.
Ce type de don est indiscutablement coûteux. Aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, l’usage veut que la bague de fiançailles -- « engagement ring » en anglais -- représente au moins deux mois de salaire du prétendant ! C’est d’autant plus coûteux, qu’à la différence d’un repas au restaurant ou d’un voyage à Paris, le diamant n’a aucune valeur intrinsèque : le donateur ne peut profiter de son cadeau ! Partant, c’est un signal honnête, qui révèle efficacement les qualités qui font les bons maris : la volonté et la capacité d’investir dans une relation au long cours. De toute évidence, un homme qui cherche juste une aventure ne jetterait pas deux mois de salaire par les fenêtres ! Et un homme pauvre ne pourrait sans doute consentir une telle dépense. Comme le dit la publicité De Beers : “Two months salary showed the future Mrs Smith what the future will be like”.
Le rôle des normes sociales [13]
Un jeune français ne fera pas sa déclaration d’amour en espéranto ou en javanais : il fera sa déclaration en français, parce que c’est dans cette langue qu’il se fera le mieux comprendre. Il en va de même quand il faut joindre le geste à la parole. Le don est « un langage qui utilise des objets à la place des mots » (Theodore Caplow). Faire don d’un diamant à la femme qu’on aime garantit que le message sera reçu cinq sur cinq.
De ce point de vue, la stratégie marketing de la De Beers peut s’analyser comme une tentative réussie pour imposer une nouvelle norme sociale. A partir du moment où il est de mise d’offrir un diamant à sa promise, l'usage s'impose aux prétendants avec une impériosité comparable au rituel familial des cadeaux de Noël. Là où ce type de tradition s’est installée, on vend chaque année autant de diamants que l’on célèbre de mariages. En 2003, 85 % des Américaines ont reçu un solitaire avant de se marier, d’une valeur moyenne de 2500 $ (source: De Beers).
L’effet Veblen [14]
A l’encontre de la loi de la demande, il arrive parfois que la hausse du prix d’un bien conduise certains individus à en consommer davantage. Ces biens devenant moins accessibles, leur consommation ostentatoire acquiert alors une haute valeur de signal. C’est l’effet Veblen, mis en évidence dans la figure ci-dessous. En pareil cas, une baisse du prix a toutes chances de réduire la demande. Toutes choses égales par ailleurs (les préférences du publics étant données), la baisse du prix du niveau P1 au niveau P2 accroît la consommation du bien -- de la quantité ST. Mais la baisse du prix modifie aussi les préférences du public, incitant certains individus à se retirer du marché : la droite de demande se déplace de D1 en D2. Quand l'effet Veblen l'emporte sur l'effet prix, la baisse des prix réduit la demande (RT > ST). C'est typiquement le cas pour la demande de diamant, dont l’élasticité-prix est positive -- ce dont rend compte la droite de demande DV.
Chez les oiseaux étudiés par Richard Dawkins, les femelles soumettent leurs prétendants à un véritable parcours du combattant. Pour arriver à leurs fins, ces derniers doivent patienter longtemps, et s’engager dans divers rituels de cour impliquant des investissements importants, comme la construction du nid et l’approvisionnement de la femelle en nourriture. De cette façon, les femelles parviennent à sélectionner parmi les mâles ceux qui ont tout à la fois la capacité et la volonté de s’engager dans une relation durable. De ce point de vue, le fait d’offrir un diamant à une femme remplit à peu près la même fonction que la construction du nid chez les oiseaux. Offrir un diamant est un signal coûteux qui véhicule une information fiable sur les qualités du prétendant.
Ce type de don est indiscutablement coûteux. Aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, l’usage veut que la bague de fiançailles -- « engagement ring » en anglais -- représente au moins deux mois de salaire du prétendant ! C’est d’autant plus coûteux, qu’à la différence d’un repas au restaurant ou d’un voyage à Paris, le diamant n’a aucune valeur intrinsèque : le donateur ne peut profiter de son cadeau ! Partant, c’est un signal honnête, qui révèle efficacement les qualités qui font les bons maris : la volonté et la capacité d’investir dans une relation au long cours. De toute évidence, un homme qui cherche juste une aventure ne jetterait pas deux mois de salaire par les fenêtres ! Et un homme pauvre ne pourrait sans doute consentir une telle dépense. Comme le dit la publicité De Beers : “Two months salary showed the future Mrs Smith what the future will be like”.
Le rôle des normes sociales [13]
Un jeune français ne fera pas sa déclaration d’amour en espéranto ou en javanais : il fera sa déclaration en français, parce que c’est dans cette langue qu’il se fera le mieux comprendre. Il en va de même quand il faut joindre le geste à la parole. Le don est « un langage qui utilise des objets à la place des mots » (Theodore Caplow). Faire don d’un diamant à la femme qu’on aime garantit que le message sera reçu cinq sur cinq.
De ce point de vue, la stratégie marketing de la De Beers peut s’analyser comme une tentative réussie pour imposer une nouvelle norme sociale. A partir du moment où il est de mise d’offrir un diamant à sa promise, l'usage s'impose aux prétendants avec une impériosité comparable au rituel familial des cadeaux de Noël. Là où ce type de tradition s’est installée, on vend chaque année autant de diamants que l’on célèbre de mariages. En 2003, 85 % des Américaines ont reçu un solitaire avant de se marier, d’une valeur moyenne de 2500 $ (source: De Beers).
L’effet Veblen [14]
A l’encontre de la loi de la demande, il arrive parfois que la hausse du prix d’un bien conduise certains individus à en consommer davantage. Ces biens devenant moins accessibles, leur consommation ostentatoire acquiert alors une haute valeur de signal. C’est l’effet Veblen, mis en évidence dans la figure ci-dessous. En pareil cas, une baisse du prix a toutes chances de réduire la demande. Toutes choses égales par ailleurs (les préférences du publics étant données), la baisse du prix du niveau P1 au niveau P2 accroît la consommation du bien -- de la quantité ST. Mais la baisse du prix modifie aussi les préférences du public, incitant certains individus à se retirer du marché : la droite de demande se déplace de D1 en D2. Quand l'effet Veblen l'emporte sur l'effet prix, la baisse des prix réduit la demande (RT > ST). C'est typiquement le cas pour la demande de diamant, dont l’élasticité-prix est positive -- ce dont rend compte la droite de demande DV.
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La réaction de la demande peut être amplifiée par un effet panurge (« bandwagon effect »). La consommation d’un produit comme le diamant est largement soumise aux normes sociales : on offre un diamant parce que cela se fait. Si, pour une raison ou une autre, cela se faisait moins, on peut s’attendre à un effet boule de neige.
Pour toutes ces raisons, le maintien d’un prix élevé du diamant est crucial, aussi bien pour les producteurs que pour les consommateurs. En cas d’effondrement du cartel, la baisse des prix réduirait tout à la fois les marges et les volumes : les bénéfices des producteurs, des diamantaires et des joailliers s’effondreraient. Très sensibles au prix, les éventuels acheteurs se détourneraient du diamant, et l’usage s’installerait d’offrir à la place une bague en émeraude, en jade, etc. De leur côté, les femmes qui possèdent des diamants se sentiraient lésées : la valeur de leur patrimoine portatif aurait brutalement fondu. En bref, il semble bien qu’en maintenant les prix à un niveau élevé, le cartel serve les intérêts de tous. [15] C'est sans doute ce qui explique que le cartel du diamant soit éternel...
Notes
Pour toutes ces raisons, le maintien d’un prix élevé du diamant est crucial, aussi bien pour les producteurs que pour les consommateurs. En cas d’effondrement du cartel, la baisse des prix réduirait tout à la fois les marges et les volumes : les bénéfices des producteurs, des diamantaires et des joailliers s’effondreraient. Très sensibles au prix, les éventuels acheteurs se détourneraient du diamant, et l’usage s’installerait d’offrir à la place une bague en émeraude, en jade, etc. De leur côté, les femmes qui possèdent des diamants se sentiraient lésées : la valeur de leur patrimoine portatif aurait brutalement fondu. En bref, il semble bien qu’en maintenant les prix à un niveau élevé, le cartel serve les intérêts de tous. [15] C'est sans doute ce qui explique que le cartel du diamant soit éternel...
Notes
[1] Cf. The diamond water paradox (Metal Project - YouTube)
[2] Référence aux accords de Kimberley, qui interdisent la commercialisation des diamants de guerre
[3] Les Echos, 22 juillet 2008 & The cartel isn't for ever, The Economist, Jul 15th 2004
[4] JN Crook & DW Reekie, Managerial Economics, 1995
[5] Lev Leviev, tous les diamants du monde, Les Echos, 22 juillet 2008
[6] Source : Haute Horlogerie magazine, 2008
[7] Russia Stockpiles Diamonds, Awaiting the Return of Demand, New York Times, 12 Mai 2009
[8] Diamonds are forever, Sparkling round my little finger. Unlike men, the diamonds linger; (…) For when love's gone, They'll luster on. Shirley Bassey: Diamonds are forever (1971) --- Men grow cold as girls grow old. And we all lose our charms in the end. But square cut or pear shaped, These rocks don't lose their shape. Diamonds are a girl's best friend. Marilyn Monroe - Diamonds Are A Girls Best Friend (1953)
[9] Why Diamonds Are China's Friend, Forbes, 25 janvier 2010
[10] Wedded to the West, Forbes, 28 mars 2005
[11] Source : JCK 2010[12] Sur la théorie du signal coûteux, cf. le cas des chasseurs altruistes de l’île Murray (Antisophiste). Pour une application au cas des diamants, cf Marcia B. Kimeldorf & Michael E. McCullough, Gift Giving as Costly Signaling in Courtship Contexts, Miami Univ. WP, 2006
[13] Colin Camerer, Gifts as economic signals and social symbols, American Journal of Sociology, vol. 94 (S), 1988
[14] Harvey Leibenstein, Bandwagon, Snob, and Veblen Effects in the Theory of Consumers' Demand. The Quarterly Journal of Economics, Vol. 64, No. 2. (May 1950). CR sur L'Antisophiste : Les motifs sociaux de la consommation
[15] W Duncan Reekie, Diamonds: The Competitive Cartel, South African Journal of Economic and Management Sciences, Vol. 2, 1999
[2] Référence aux accords de Kimberley, qui interdisent la commercialisation des diamants de guerre
[3] Les Echos, 22 juillet 2008 & The cartel isn't for ever, The Economist, Jul 15th 2004
[4] JN Crook & DW Reekie, Managerial Economics, 1995
[5] Lev Leviev, tous les diamants du monde, Les Echos, 22 juillet 2008
[6] Source : Haute Horlogerie magazine, 2008
[7] Russia Stockpiles Diamonds, Awaiting the Return of Demand, New York Times, 12 Mai 2009
[8] Diamonds are forever, Sparkling round my little finger. Unlike men, the diamonds linger; (…) For when love's gone, They'll luster on. Shirley Bassey: Diamonds are forever (1971) --- Men grow cold as girls grow old. And we all lose our charms in the end. But square cut or pear shaped, These rocks don't lose their shape. Diamonds are a girl's best friend. Marilyn Monroe - Diamonds Are A Girls Best Friend (1953)
[9] Why Diamonds Are China's Friend, Forbes, 25 janvier 2010
[10] Wedded to the West, Forbes, 28 mars 2005
[11] Source : JCK 2010[12] Sur la théorie du signal coûteux, cf. le cas des chasseurs altruistes de l’île Murray (Antisophiste). Pour une application au cas des diamants, cf Marcia B. Kimeldorf & Michael E. McCullough, Gift Giving as Costly Signaling in Courtship Contexts, Miami Univ. WP, 2006
[13] Colin Camerer, Gifts as economic signals and social symbols, American Journal of Sociology, vol. 94 (S), 1988
[14] Harvey Leibenstein, Bandwagon, Snob, and Veblen Effects in the Theory of Consumers' Demand. The Quarterly Journal of Economics, Vol. 64, No. 2. (May 1950). CR sur L'Antisophiste : Les motifs sociaux de la consommation
[15] W Duncan Reekie, Diamonds: The Competitive Cartel, South African Journal of Economic and Management Sciences, Vol. 2, 1999
5 commentaires:
je crois surtout que les diamants sont un très bon moyen de faire des transactions financières sans laisser de trace informatique
C'est passionnant. C'est fou comme les consommateurs peuvent se faire manipuler
Impressionnant ! Le diamant est un bon moyen pour des transactions anonymes ! merci pour cet article très intéressant :)
Des diamantaires proposent maintenant des diamants d'investissement pas cher. Je pense surtout que le diamant peut être un bel investissement si son possesseur sait déceler le moment propice où il faut le vendre avec une rentabilité importante.
Merci pour cet article très instructif.
Encore une belle arnaque que Don Drapper n'aurait pas renié
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