18 nov. 2005

Emeutes et anomie

Ce n'est pas un défaut d'intégration, mais sa réussite même, qui fait paradoxalement le lit de la haine et de la violence. C'est – plus exactement – la contradiction entre le degré d'assimilation culturelle et l'exclusion sociale de cette jeunesse. Ces adolescents assimilés, dont les parents sont venus s'installer dans nos pays, ne sont guère différents, par leurs aspirations et leurs idées, du reste des adolescents de leur classe d'âge : au contraire, ils sont particulièrement proches d'eux. C'est à l'aune de cette similitude que le racisme d'exclusion ressenti par ces groupes hétérogènes d'adolescents est une expérience si amère...

Ulrich Beck, Le Figaro, 18 novembre 2005

[NB: On aura reconnu la célèbre théorie mertonienne de l'anomie. Extraits ici]

Pour montrer la pertinence de cette idée (qui, bien entendu, n'épuise pas le sujet), je m'appuierai sur les données d'une étude récente d'Education et Formation (cf. le compte rendu du Monde). Où l'on voit que les familles maghrébines ouvrières/employées ont des aspirations scolaires supérieures à leurs homologues d'origine française, mais que leurs enfants sont en moyenne nettement moins bons (cf. les tableaux ci-après).
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Comment expliquer ce paradoxe ?

Une partie de l'explication tient au fait que ces jeunes sont concentrés dans certains collèges, où le niveau scolaire est très en deçà des standards nationaux et où, d'une façon ou d'une autre, les professeurs sont amenés à surnoter les élèves (cf. cet article de
Libé). Résultat : on voit des élèves qui, en toute bonne foi, s’estiment bons ou excellents échouer ensuite au lycée, voire à la Fac (cf. le cas de Nassim et ses copains dans "80 % au Bac et après" de Stéphane Beaud)...

De ce découplage entre les aspirations et les possibilités objectives naît un sentiment de frustration, voire d'injustice -- ainsi, les jeunes des familles immigrés sont plus nombreux que les autres à trouver injustes les décisions du Conseil de classe.

Cela dit, de la frustration à l'émeute, il y a un pas...

Si nos jeunes émeutiers se sont joyeusement livrés à cette orgie de destructions, c'est aussi parce qu'ils avaient le sentiment que tout cela ne leur coûterait pas cher... Que risque aujourd'hui un jeune de 15 ans quand il cède à la tentation de faire potlacht avec le bien des autres ? Réponse : pas grand chose. Au pire, certains policiers vont s'employer à lui laisser un petit souvenir... Mais, comme l'ont montré les évènements récents, ces policiers trop zélés risquent gros...
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Niveau scolaire des enfants et aspirations des parents dans les familles ouvrières et employées d’origine française et maghrébine (en fin de 3ème)

% des parents qui souhaitent que leur enfant décroche un Bac général
Parents français d’origine
G 20.8
F 36.2
Parents maghrébins
G 39.6
F 54.2

% d’enfants à l’heure ou en avance
Parents français d’origine
G 52.4
F 65.1
Parents maghrébins
G 40
F 60.2
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Résultats au brevet en français :
Parents français d’origine
% d’enfants ayant obtenu des notes > 12 : 40.6
% d’enfants ayant obtenu des notes < 8 : 8.6
Parents maghrébins
% d’enfants ayant obtenu des notes > 12 : 27.8
% d’enfants ayant obtenu des notes < 8 : 22.8

Résultats au brevet en maths
Parents français d’origine
% d’enfants ayant obtenu des notes > 12 : 43.5
% d’enfants ayant obtenu des notes < 8 : 17.4
Parents maghrébins
% d’enfants ayant obtenu des notes > 12 : 30.9
% d’enfants ayant obtenu des notes < 8 : 25.0

Jugement de l’élève sur son niveau scolaire
Parents français d’origine
Grosses difficultés : 19.6
Excellent : 15.5
Parents maghrébins
Grosses difficultés : 23.5
Excellent : 17.9

Le Conseil de classe a été injuste avec moi (% de réponses « d’accord » et « plutôt d’accord »)
Parents français d’origine : 17.9
Parents maghrébins : 24.8

Champ : Familles stables composées de deux parents, qui ont répondu à l’Enquête Famille 1998 et dont les enfants ont répondu à l’Enquête Jeunes 2002. Source: Revue Education et Formation, sept. 2005 : "les aspirations éducatives des familles immigrées" (not. les tableaux 3, 7, 9)
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