Pourtant, le succès des sites de rencontre en ligne ne se dément pas. Aux Etats-Unis, 40 millions d’américains y ont recours. Chez nous, Meetic vient d'entrer en Bourse.
Günter J. Hitsch (Univ. of Chicago), Ali Hortaçsu (Univ. of Chicago) et Dan Ariely (MIT) ont pu accéder aux fichiers des membres d’une agence : les destinataires et les émetteurs des messages envoyés, les profils avec les photos, que leurs étudiants ont notées sur une échelle de 1 (très moche) à 11 (très beau) ... Dans "What Makes You Click:An Empirical Analysis of Online Dating", ils passent en revue les caractéristiques des membres et les mettent en relation avec le succès obtenu.
¤ Les caractéristiques des membres, d’après leurs profils
A l'évidence, les profils affichés sont sujets à caution. Ainsi, 30 % des femmes disent être blondes, contre 12 % des hommes ! Et seuls 1 % des membres se déclarent physiquement « moins bien que la moyenne » !
Plus sérieusement, on observe que les membres sont majoritairement des hommes (55 % de l'ensemble), jeunes (50 % des membres ont entre 18 et 25 ans, 28 % ont entre 25 et 35 ans), et libres (on ne compte que 6 % de mariés chez les hommes, 2 % chez les femmes).
Si l'on en croit les déclarations, les membres sont aussi nettement plus éduqués et plus riches que l'ensemble de la population. On peut toutefois nourrir quelques doutes sur la véracité des revenus annoncés. Ainsi, 4 % des membres déclarent gagner plus de 200 000 $ par an. Or, si l'on en croit les chiffres du recensement, moins de 0.1 % des américains gagnent autant d'argent ! Inversement, ils sont moins de 8 % à déclarer gagner moins de 12 000 $ par an, alors qu'on en recense environ deux fois plus dans l'ensemble de la population.
De même, les caractéristiques physiques affichées sont quelque peu suspectes. En particulier, le poids déclaré des femmes diffère très sensiblement des données du recensement : les moins de 30 ans déclarent 5 à 6 livres de moins que leurs congénères du même âge au recensement, celles de 30 à 40 ans déclarent 8 livres de moins, celles de 40 à 50 ans déclarent 20 livres de moins ! Il faudrait ici pouvoir faire la part du mensonge et de l'autosélection (les femmes grosses sont peut-être moins enclines à utiliser ce type de services).
Malgré ces réserves, le service de rencontre est extrêmement dynamique. En moyenne, les fiches des hommes ont été visitées par 46 femmes. Hélas ! ils n’ont reçu que 2.6 propositions en moyenne… et seulement 1.5 messages contenant un n° de tel. ou une adresse email privée. De leur côté, les femmes reçoivent en moyenne 5 fois plus de propositions (12.6 !), et 3.5 messages avec des coordonnées privées...
A noter un "effet superstar" : 45 % des hommes ne reçoivent aucune proposition mais certains ont reçu jusqu'à 288 messages contenant des coordonnées privées. Du côté des femmes, 20 % n'ont reçu aucune proposition, mais certaines ont reçu jusqu'à 372 messages contenant des coordonnées privées !
¤ Les déterminants du succès
Le critère de la beauté (mesurée d'après les notes données par les étudiants) est déterminant. Ainsi, même les hommes les moins photogéniques (ie les 40 % les moins bien notés) font 2,5 fois plus de propositions aux femmes les plus jolies (note 11) qu’aux femmes les moins jolies (note 1) !
Si l'on considère les probabilités de recevoir un message avec les coordonnées privées de l'expéditeur, la relation entre la beauté et le succès est très forte. Ainsi, les 5% des hommes les plus beaux ont 300 % de chances en plus que la moyenne de parvenir à leurs fins ! Cet effet superstar est moins marqué chez les femmes...
Parmi les autres critères physiques, on voit que les hommes grands s'en tirent mieux que les petits... Mais c'est l'inverse pour les femmes !
Si l'on met en relation le succès et l'indice de masse corporelle, il est manifeste que le format Top Model est celui qui plaît le plus aux hommes. De leur côté, les femmes semblent préférer le juste milieu...
Parmi les autres caractéristiques, le revenu est un critère qui compte, mais seulement pour les femmes !
De même, le niveau d'études compte plus pour les femmes que pour les hommes. Les femmes diplômées au niveau Master et plus envoient 2 fois plus de messages aux hommes de même niveau d'études qu'à ceux qui se sont arrêtés au lycée. En revanche, les hommes très diplômés ne semblent pas faire de différences.
Enfin, l'ethnicité est un autre critère, repérable dans les profils, dont l'effet est manifeste. Là encore, les femmes se montrent plus discriminantes que les hommes. Par exemple, un homme noir a 60 % de chances de moins qu’un homme blanc (caucasian) de recevoir une proposition d’une femme blanche. Symétriquement, une femme noire a 50 % de chances de moins qu'une femme blanche de recevoir une proposition d'un homme blanc.
1 commentaire:
L'importance de la photo pour le contact : un indicateur de l'individualisme ?
C'est la thèse à laquelle invite l'extrait suivant:
Dans nos sociétés occidentales, de structure individualiste, la précellence du visage règne là où la reconnaissance de soi ou de l'autre se fait à partir de l'individualité et non sur l'appartenance à un groupe ou à la position au sein d'une lignée. La singularité du visage en appelle à celle de l'homme, c'est-à-dire à celle de l'individu, atome du social, indivis, conscient de lui-même, maître relatif de ses choix, se posant en «je» et non plus en «nous autres». Pour que l'individu prenne socialement et culturellement sens, il faut un lieu pour le distinguer avec une force suffisante, un lieu de l'être suffisamment variable dans ses désinances pour signifier sans ambiguïté la différence d'un homme à un autre. Il faut le corps comme marque de la limite de soi avec le monde extérieur et les autres, le corps comme enclos, comme frontière de l'identité. Et il faut le visage comme territoire du corps où s'inscrit la distinction individuelle. Nul espace du corps n'est plus approprié pour marquer la singularité de l'individu et la signaler socialement.
David Le Breton, LE VISAGE ET LE SACRÉ: QUELQUES JALONS D'ANALYSE, in RELIGIOLOGIQUES, no 12, printemps 1995, pp. 49-64
David Le Breton est sociologue et anthropologue, est professeur à l'UFR des sciences sociales de l'Université de Strasbourg II.
www.unites.uqam.ca/religiologiques/no12/visage.pdf
Il cite une référence à creuser : Georg Simmel, «La signification esthétique du visage», in La tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1988, p. 140
(texte de 1901 disponible : http://socio.ch/sim/index_sim.htm)
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