6 oct. 2005

L'inégalité des chances scolaires


La question de savoir si les inégalités des chances scolaires augmentent ou diminuent dépend beaucoup de l'instrument de mesure utilisé... C'est ce que montre JC Combessie dans "Trente ans de comparaison des inégalités des chances", paru dans Le Courrier des Statistiques de l'Insee, dec. 2004. (*).
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Pour le donner à voir, j'ai pris l'exemple suivant :
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Taux de bacheliers selon l’origine sociale, pour deux générations
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a. Enfants avantagés *
1908-12 : 38.9
1963-67 : 73.4

b. Enfants désavantagés **
1908-12 : 2.2
1963-67 : 14.9
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* dont le père est cadre supérieur, gros indépendant ou enseignant et la mère a le Bac ou plus ;
** dont le père est ouvrier (yc contremaitre), et la mère sans diplôme

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d'après tabl. 5 in Thélot & Vallet : La réduction des inégalités sociales devant l'école depuis le début du siècle, Economie et Statistiques n° 334, 2000.
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Les deux méthodes de mesure des inégalités les plus communes consistent à calculer des écarts de taux ou des rapports de taux. L'ennui, c'est que l'on parvient à des conclusions diamétralement opposées:

Ecarts (a – b)
1908-12 : 36.7
1963-67 : 58.5

==> L’inégalité a augmenté

Rapports (a / b)
1908-12 : 17.7
1963-67 : 4.9
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==> L'inégalité a diminué !

Mais d'autres méthodes sont utilisées pour mesurer les inégalités des chances:

¤ le taux de variation par rapport au maximum de variation possible

Il consiste à rapporter l’écart de taux entre T1 et T2 (le chemin parcouru : X2 – X1) au maximum de variation possible (le chemin restant à parcourir : 100 – X1).

Exemple : d’une génération à l’autre, le taux de bacheliers a progressé de 12.7 points chez les enfants désavantagés. Le maximum de variation possible était de = 97.8 points. Par conséquent, le progrès enregistré représente 13 % du maximum possible (12.7 / 97.8).

Enfants avantagés
Chemin parcouru : 34.5
Chemin à parcourir : 61.1
Rapport : 56.5 %

Enfants désavantagés
Chemin parcouru : 12.7
Chemin à parcourir : 97.8
Rapport : 13.0 %
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==> L’inégalité a augmenté.

¤ le rapport d'odds ratios

On appelle odds ratio le rapport entre un taux et son complémentaire. Il mesure les chances (ou les risques) d’être ceci plutôt que cela (son contraire).

Exemple: Si l’on prend deux enfants au hasard nés entre 1908 et 1912, l’un désavantagé et l’autre avantagé, la probabilité que ce dernier soit bachelier et que le premier ne le soit pas se rencontrait 28.4 fois plus souvent que l’inverse. Dans le détail, la probabilité que les enfants avantagés soient bacheliers et que les enfants désavantagés ne le soient pas = 0.389 x 0.978 = 0.38 (soit 38 %) ; la probabilité que les enfants désavantagés soient bacheliers et que les enfants avantagés ne le soient pas = 0.022 x 0.611 = 0.0134 (soit 1.34 %). Le rapport d'odds ratios ressort donc à : 0.38 / 0.0134 = 28.4

a. L'enfant avantagé a le Bac mais pas l'enfant désavantagé
1908-12 : 38.0 %
1963-67 : 62.5 %
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b. L'enfant désavantagé a le Bac mais pas l'enfant avantagé
1908-12 : 1.34 %
1963-67 : 3.96 %
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Rapport (a / b)
1908-12 : 28.4
1963-67 : 15.8
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==> L’inégalité a diminué !


Les spécialistes utilisent assez systématiquement la méthode des odds ratios. Or, comme on vient de le voir, celle-ci montre que les inégalités diminuent... Seule exception : les inégalités d'accès aux grandes écoles ont augmenté, au moins pour les garçons (cf. ici). Ce qui traduit probablement un phénomène de fuite des élites pour la qualité. Les bon élèves des classes supérieures évitent désormais l'université, dont les diplômes sont largement dévalués.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec vous que l'on fait dire ce que l'on veut aux statistiques, surtout sur l'évolution temporelle d'indicateur. C'est pourquoi il faut choisir des indicateurs les plus précis possibles, précis au sens de ciblés jusqu'à froler le cas particulier. Une solution est d'avoir des instantanés. Puis de comparer les évolutions temporelles de chacun de ces instantanés. C'est pourquoi je me permets de vous donner quelques chiffres issus de: "déchiffer les inégalités" de A. Bihr et R. Pfefferkorn, ed. SYROS 1995. Ca date mais on pourrait actualiser.
Les sources sont celles du ministère de l'éducation nationale et de l'Insee.

En 1993, sur 456 000 bacheliers, 10% ont décroché un bac pro, 26% un bac techno et 64% un bac général. Les titulaires d'un bac C représentaient 14.5% de l'ensemble.

1990 (classes de terminales)
les enfants de cadres sup représentent 13.5% des jeunes.
les enfants d'ouvrier représentent 40% des jeunes.
Ils se répartissent comme suit:
Sup
15% en bac techno, 35% bac généraux
Ouvriers
25% en bac techno, 13% bac généraux.
Sur 100 élèves en C
Sup: 46.5%
Ouvriers: 8%

Ensuite:
en 89/90 sur 100 entrants en écoles de commerce, gestion et compta (effectifs de 35654 entrants):
51.5 sont issus d'un milieu (a) de cadres et professions intellectuelles supérieures (sic!)
2.1 sont issus d'un milieu (b) ouvrier.

Enfin quant à l'évolution sociale (1985) et les transferts d'une catégorie à une autre:
sur 100 enfants issus de parents appartenant au milieu (a), 60 restent dans ce milieu et sur 100 enfants issus de parents ouvriers, 50 restent dans ce milieu.
A noter que cette même année sur 100 personnes en (b) 50 viennent de (b) et 0.7 de (a).

Bon, on peut maintenant, qualifier et intrepréter ces chiffres.