Il n'existe pas
de seuil universel et automatique au-delà duquel un pays bascule dans une
situation de crise budgétaire. Tout dépend du pays, de la qualité de ses
institutions, de la crédibilité de sa gouvernance, de la part de la dette
détenue à l'étranger, du patrimoine de l'Etat et de sa capacité à lever plus
d'impôts, de sa capacité à émettre la monnaie dans laquelle est libellée la
dette, ... Pour ces raisons, l'Argentine a connu une crise budgétaire fatale
avec un ratio d'endettement public inférieur à 60 % du PIB, alors que le Japon
peut soutenir une dette publique nette supérieure à 140 % du PIB. La Grèce,
longtemps protégée par l'euro, est entrée en crise à partir d'un ratio
d'endettement de 120 % du PIB. Le problème pour la France et les autres Etats
très endettés, c'est d'éviter de reproduire ce type d'expérience. Or, le
meilleur moyen de conjurer une crise budgétaire, c'est encore de ne pas y
entrer.
C’est pourquoi
il n’y a guère d'alternative crédible à la rigueur actuelle. Tout au plus
peut-on chercher à limiter la casse et à faire d'un mal un bien. A cet effet,
les économistes libéraux préconisent d'ajuster graduellement les dépenses
publiques, sans accroître la fiscalité, et de procéder sans tarder aux réformes
structurelles, pour booster la croissance potentielle (cf. mon message précédent). Pour autant, le pays ne fera pas l’économie d'une récession. Dans
le contexte actuel (taux d’intérêt au plancher, demande extérieure atone), une
consolidation budgétaire, même bien menée, même accompagnée de réformes
structurelles, est nécessairement récessive à court terme. Les pays baltes ou
l'Irlande en ont fait l'expérience. Le pari est ici qu'à moyen terme, le pays vertueux
renouera durablement avec une croissance forte. La dette stabilisée, la
politique budgétaire ne sera plus un frein à l'activité ; et grâce aux réformes
structurelles, la croissance potentielle sera plus élevée.
En regard de ce
pari, somme toute raisonnable, les alternatives keynésiennes paraissent
infiniment plus aventureuses. Avec l'ajustement structurel, on est en terrain
relativement familier. Mais, avec les thèses keynésiennes, l'incertitude est
considérable.
Les keynésiens
de gauche ne veulent ni de la rigueur, ni des réformes structurelles, qu'ils jugent antisociales. La rigueur serait en outre inefficace : la récession réduit les recettes fiscales, compromettant les objectifs de réduction du déficit public. Un nouveau tour de vis budgétaire
est requis, aggravant encore la récession. A les entendre, pour sortir de ce cercle vicieux,
il faudrait faire tout le contraire : le déficit doit augmenter ! Même sans parler de relance, laissons au moins jouer les stabilisateurs automatiques. Il sera toujours
temps plus tard de remettre de l’ordre dans les finances publiques, quand la
croissance sera de retour. Que penser de ce scénario alternatif ?
Supposons que
le Gouvernement français applique ce type de remède keynésien, comme préconisé sur sa
gauche. La croissance redevient positive, mais la dette publique continue de
croître. Cinq ans plus tard, l'écart récessif est comblé, mais le déficit
public est encore à 5 % du PIB, et le taux d'endettement public atteint
désormais 110 % du PIB. Faute de réformes structurelles, la croissance
potentielle est molle (disons 1,5 %). Avec le retour de la croissance mondiale,
les banques centrales ont mis un terme aux politiques de quantitative easing ;
sur le marché obligataire, les taux sont revenus au niveau de 5 % pour les
emprunts à 10 ans, ce qui correspond à un taux d'intérêt réel de 3 %,
raisonnable pour une note AA. La crise
passée, l'Etat français peut désormais s'atteler à stabiliser la dette publique
(en % du PIB). Mais, pour cela, il doit faire apparaître un excédent primaire
de 1,65% du PIB = (r - g) x (Dette / PIB) = (3 - 1,5) x 110 %. Compte tenu de
la charge de la dette (entre 4 et 5 %), cela signifie qu'il doit ramener le déficit public en deçà de 3 % du PIB. Partant d'un niveau de 5 %, l'ajustement budgétaire requis atteint
2 % du PIB, du même ordre que celui demandé au gouvernement actuel. Autrement dit, surseoir
à l'austérité est parfaitement possible, mais c'est reculer pour mieux sauter.
Avec le risque
de voir le gouffre s’élargir d’ici-là… D’une part, le niveau de la dette est
désormais plus élevé (+ 20 points), ce qui expose l'Etat à une prime de risque plus élevée si
les marchés perdent confiance. L'ajustement budgétaire requis en serait accru d'autant.
D’autre part, en l'absence de réformes structurelles, les problèmes de
compétitivité ne sont pas réglés. L'augmentation de la dette publique conduit
alors à un besoin de financement accru de la nation, et l'augmentation de la
charge de la dette à un prélèvement accru sur le revenu national (d'un montant à peu près équivalent à celui de l'ajustement budgétaire).
Mon sentiment
est que, demain comme aujourd'hui, la réponse des keynésiens sera toujours
qu'il est urgent d'attendre. L'important pour eux sera toujours d'éviter la
récession. Jusqu’au moment où le pays n’a plus le choix. Le fardeau de la dette
devient trop lourd, les marchés se
défient, les taux grimpent, aggravant la charge de la dette. C’est la crise
budgétaire classique. On a voulu éviter la rigueur et la récession, on récolte dix ans d’austérité et une
violente dépression. Alternativement, l'Etat peut choisir de faire défaut sur sa dette, mais cela exposerait nos banques et nos
investisseurs institutionnels à des faillites en cascade. Les épargnants
seraient plumés, et l'économie connaîtrait un gigantesque credit crunch. Là
encore, le pays connaîtrait une grave dépression.
2 commentaires:
dans ce monde merveilleux des anticipations rationnelles, on ne voit pas la misère se développer depuis très longtemps.Alors vouloir réduire encore les dépenses sociales, pourquoi pas? Mais permettez moi de vous dire que vous devriez un peu voir la réalité de nombreuses personnes. Le problème n'est pas pour elles d'anticiper ou pas, c'est de remplir le frigo, de tenir jusqu'à la fin du mois. Des discours de madame merckel sur l'europe (ancienne ingénieure de formation)ne m'intéressant pas. C'est du bon sens à la petite semaine que dénonçait déjà keynes dans les cris de cassandre.
Bref un monde merveilleux pour ceux qui sont en haut. Votre texte est insupportable pour ceux d'en bas et les mets très très en colère
réformes structurelles? lesquelles? pour qui?
ps : vous semblez ignorer la belle pensée ce certains sophistes
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