Couverture de The Economist, 13 juillet 2011
A écouter certains, les Etats de l'eurozone ne présenteraient objectivement aucun risque d'insolvabilité. Dès lors, il suffirait que la BCE sorte son bazooka, i.e. rachète massivement de la dette publique sur le marché secondaire, pour sortir de la crise budgétaire actuelle. Les Etats pourraient se refinancer à un coût raisonnable et faire l'économie de politiques d'austérité qui réduisent la croissance. Moins d'intérêts et plus de croissance = moins de déficit et un endettement plus soutenable (∆- dette publique / PIB). Qui a dit qu'en économie, il n'y a pas de déjeuner gratuit ?
Dans ces conditions, pourquoi diable la BCE n'intervient-elle pas davantage? Excès d'orthodoxie et de rigidité allemande, disent les uns, complot libéral pour imposer plus de libéralisme aux peuples, disent les autres.
Las ! Le risque d'insolvabilité est apprécié par les créanciers seuls. Même si un Etat ne paraît pas très endetté, relativement à d'autres (eg, le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou le Japon), les investisseurs peuvent douter de la capacité du gouvernement à redresser les comptes publics. A tout prendre, un gouvernement populiste pourra préférer la voie du défaut de paiement. Il y sera d'autant plus enclin quand la dette est principalement détenue par l'étranger. En pareil cas, un défaut peut se révéler économiquement et politiquement moins coûteux qu'un plan d'ajustement structurel : d'abord, parce que les créanciers ne sont pas des électeurs ; ensuite, parce que les intérêts de la dette ne reviennent pas sous formes d'impôts dans les caisses de l'Etat (réduisant d'autant le fardeau réel de la dette). Lorsque ce type de crainte se généralise, la prophétie devient autoréalisatrice. Les taux d’intérêt s’envolent sur le marché obligataire et l’Etat ne peut plus assurer le service de sa dette. D’où l’importance de conserver la confiance des marchés.
Le retour de la confiance implique la mise en oeuvre par les Etats concernés d'un plan crédible pour sécuriser l'environnement fiscal et budgétaire à moyen et long terme, et accroître la croissance potentielle. Un plan d’ajustement structurel de ce type comprendrait deux volets complémentaires : d’un côté, l’annonce immédiate d’un calendrier détaillé de hausse d’impôts, de baisse des dépenses publiques, d’allongement de l'âge légal de la retraite, pour réduire les déficits à terme ; d’un autre côté, des réformes structurelles qui, en augmentant l’incitation à travailler, investir, entreprendre, innover, se former, ou en réduisant les sources d'inefficience allocative (eg, des réglementations, une fiscalité ou des dépenses publiques sous-optimales) remettront le pays sur le chemin de la croissance.
Sans cela, un programme d'achat massif d'obligations publiques par la banque centrale ne suffira pas à rétablir la confiance. Au contraire, il risque d'aggraver la crise en chassant les acteurs privés du marché. En effet, plus est grande la part de la dette détenue par les banques centrales, plus est élevé le risque supporté par les créanciers privés (en cas de défaut, les créanciers seniors, type BCE ou FMI, sont payés les premiers).
Une chose est sûre : tant que les investisseurs privés douteront de la solvabilité d'un Etat, le rachat de dette souveraine par la BCE n'aurait d'autres effets que de concentrer la dette publique entre ses mains. Le risque de prêt serait alors transféré aux autres Etats européens, juridiquement garants de la BCE. A terme, ces derniers pourraient imposer à la BCE de monétiser la dette (il faudrait auparavant modifier ses statuts, définis dans les traités européens). Après le bazooka, la bombe atomique ! L’effet serait radical : la dette publique monétisée serait purement et simplement effacée. Mais à quel prix ?
Anticipant avec raison la dépréciation de l'euro et une poussée d'inflation, les capitaux prendraient la poudre d’escampette, précipitant la chute de l’euro. Les taux obligataires monteraient en flèche, empêchant tout retour des Etats sur les marchés. La BCE devrait monétiser encore plus de dettes, aggravant l’inflation et la chute de la monnaie. Le pouvoir d'achat s'effondrerait, en particulier pour les retraités, les fonctionnaires, et tous ceux dont les revenus ne sont pas indexés (s'ils l'étaient, à quoi servirait l'inflation !). Les français ne pourraient plus payer leur essence ni prendre leurs vacances hors de la zone euro. En revanche, les étrangers rachèteraient à vil prix nos logements et notre patrimoine, ajoutant au sentiment de ruine nationale.
Tous comptes faits, on peut comprendre les réticences de la BCE et des Allemands à dégainer le bazooka.
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