Dans les débats publics, on se dispute pas mal ces temps-ci sur le point de savoir s'il convient ou non de monétiser la dette publique. En regard des politiques actuelles d'austérité, certains y verraient un moindre mal, d'autres un remède pire que le mal. On sait que les banques centrales n'ont pas le droit de consentir des avances au Trésor, ou d'acheter directement des obligations émises par les Etats. Mais elles ont parfaitement le droit d'acheter ces mêmes obligations sur le marché secondaire. S'agit-il pour autant de monétisation ? Que faut-il entendre précisément par "monétisation de la dette" ?
Dans un synopsis récent intitulé "Monetizing the Debt", Daniel L. Thornton, Vice Président et conseiller économique de la FED de St Louis, propose un point de vue très éclairant. Quand une banque centrale acquiert un titre de créance, qu'il s'agisse d'un actif public ou privé, elle monétise par définition ladite créance. Toute opération de ce type augmente en effet la base monétaire. Mais, si on en reste là, on ne comprend pas pourquoi les économistes s'écharpent actuellement sur la question de la monétisation des dettes publiques. Qu'ils soient neokeynésiens, paléokeynésiens ou antikeynésiens, aucun ne trouve à redire au fait que la banque centrale achète et vende des actifs dans le cadre de ses opérations d'open market. C'est l'instrument de base de la politique monétaire. Tant que ces achats servent les objectifs assignés aux banques centrale (garantir la stabilité des prix et de la monnaie, réduire les écarts de production), la monétisation de créances ne fait pas débat.
Dans ces conditions, nous dit Daniel L. Thornton, il conviendrait de réserver l'expression "monétisation de la dette" aux interventions visant en priorité à faciliter le refinancement de l'Etat, quitte à sacrifier pour cela l'objectif de stabilité des prix. La banque centrale n'affichant pas toujours ses intentions, le meilleur moyen de savoir si elle monétise la dette publique consiste à comparer ses performances et ses objectifs. Si l'inflation observée dépasse la cible d'inflation, à un moment où l'Etat a des difficultés à se refinancer sur le marché, on peut supposer que la banque centrale est en train de monétiser la dette. A noter qu'elle n'a pas besoin pour cela d'acheter elle-même des obligations publiques sur le marché secondaire ; il lui suffit d'accorder aux banques des prêts à faible taux : celles-ci achèteront des obligations publiques, facilitant le refinancement de l'Etat sur le marché.
Les banques centrales sont-elles aujourd'hui engagées dans un processus de monétisation des dettes publiques ?
C'est à l'évidence le cas de la Reserve Bank of India. Depuis 2007, le déficit public de l'Inde a dépassé chaque année les 8 % du PIB, malgré une croissance élevée. Pour permettre à l'Etat de se financer à bas coût, la RBI soumet les banques nationales à l'obligation de détenir 24 % de leur actif sous formes d'obligations publiques. Quand ça ne suffit pas, elle achète aussi des obligations sur le marché secondaire : en novembre, elle a ainsi acheté 14 milliards de titres pour limiter l'augmentation des taux. Résultat : alors même que les perspectives de croissance potentielle sont revues à la baisse (de 8 à 6 %), l'inflation avoisine 10 % ces deux dernières années (cf. ce bon article de The Economist).
En Europe, le doute est permis quand on considère le cas britannique, où l'inflation a atteint 3,33 % par an ces trois dernières années (contre 1,25 % en France). Un différentiel d'inflation de 2,1 points pendant 10 ans représente pour les créanciers une perte équivalente à un haircut de 20 %. Si, comme l'observait récemment l'économiste anglais Charles Goodhart, les agences de notation intégrait les perspectives d'inflation dans leurs évaluations, la dette française serait sans doute mieux notée que la dette britannique.
En revanche, la stratégie actuelle de la BCE ne relève pas d'une stratégie de monétisation de la dette publique. Ses acquisitions d'obligations publiques (grecque, portugaise, espagnoles) et ses prêts massifs aux banques privées sont jusqu'à présent demeurés compatibles avec sa mission de garantir la stabilité des prix. Certes, l'inflation dans l'eurozone a atteint l'an dernier 2,7 %, mais il n'y a pas de risque inflationniste en vue. Au contraire, par ses interventions, la BCE cherche à prévenir l'entrée dans une spirale déflationniste. Dans le même temps, la troïka met la pression maximum sur les gouvernements des Etats surendettés : s'ils veulent obtenir l'aide du FMI, de l'UE et de la BCE, ils devront faire ce qu'il faut pour restaurer leur solvabilité à moyen et long terme. Un jour viendra peut-être où, sous la pression des gouvernements de la zone, la BCE se mettra à monétiser la dette publique. Pour le moment, on n'en est pas là.
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