La BCE doit-elle agir comme prêteur en dernier ressort pour venir en aide aux Etats les plus endettés de l'Eurozone ?
Comme dans les autres grands pays industrialisés, les statuts de la BCE lui interdisent de prêter directement aux Etats (sous forme d'avances au Trésor ou de souscriptions obligataires). Mais rien ne lui interdit d'acheter des obligations publiques sur le marché secondaire. Par le passé, la Fed, la Bank of England, la Bank of Japan n'ont pas hésité à acheter des titres, que ce soit dans le cadre d'un programme de quantitative easing (pour faire baisser les taux longs sur le marché et favoriser la reprise économique), ou pour faciliter le financement public (de 1942 à 1951, la Fed fit en sorte que l’Etat US se finance à un taux de 2,5 %, inférieur à l’inflation, facilitant ainsi son désendettement).
Depuis l'an dernier, quand les Etats et banques des PIIGS ne trouvaient plus à se refinancer à des taux raisonnables, la BCE a accepté d’acheter de grandes quantités d’obligations publiques, évitant ainsi une crise majeure de liquidité. Mais, à la différence des autres banques centrales, la BCE répugne à jouer ce rôle de prêteur en dernier ressort, et, d’une façon ou d’une autre (communiqués, démissions en série), elle le fait savoir. Résultat : les marchés demandent des primes de risques plus élevées pour les Etats les plus endettés de l'Eurozone. Par exemple, si l'on s'en tient aux fondamentaux, la signature de l'Espagne n'est pas plus risquée que celle du Royaume-Uni, mais l’Espagne doit payer des taux d'intérêt beaucoup plus élevés (cf. graph. ci-dessous).
The Economist
La Banque d'Angleterre n'a pas besoin d'intervenir sur le marché. Le seul fait de savoir qu'elle n'hésiterait pas à le faire en cas de besoin suffit à rassurer les marchés. Confiants que les cours ne vont pas s'effondrer, même en cas de dégradation de la dette anglaise, les détenteurs d'obligations publiques conservent leurs titres, qui du coup, ne s’effondrent pas. De même, si la BCE faisait savoir qu'elle était prête à racheter autant de dette italienne, espagnole, etc. que nécessaire, les taux resteraient modérés, facilitant pour les Etats italiens et espagnols le processus d'ajustement budgétaire.
Prenons le cas d'un pays comme l'Italie, qui, avec la crise, a vu son taux d'endettement public revenir à son niveau de 1996 : 120 % du PIB. Pour stabiliser la dette, il faudrait faire apparaître un excédent primaire de 4 % du PIB, contre 0,5 % actuellement. C'est un ajustement budgétaire assez modeste, de 3,5 % du PIB. Mais, avec une croissance en berne, son coût social risque de devenir très élevé si l'Etat doit acquitter des taux punitifs pour se refinancer sur les marchés : actuellement, le taux à 10 ans est supérieur à 6 % (contre moins de 4 % il y a deux ans), soit deux fois plus que le taux demandé à l’Allemagne.
Paulo Manasse, Vox
Pourquoi la BCE renâcle-t-elle à assumer ce rôle de prêteur en dernier ressort ?
¤ La première raison est la crainte d'alimenter l'inflation. Dans le contexte actuel, c'est un risque très limité. Le ralentissement de la croissance mondiale (donc de l'inflation importée), la généralisation des politiques de rigueur et le risque de crédit crunch (du fait de la récession et de l'obligation imposée aux banques européennes d'augmenter rapidement leur ratio de fonds propres) font plutôt redouter la déflation dans la zone euro. En pareil cas, l’achat de titres obligataires par la Banque centrale ne serait pas inflationniste. Pour preuve, les achats massifs de titres par la BCE depuis la crise financière ont fortement augmenté la base monétaire (la monnaie créée par la banque centrale : réserves des banques et espèces en circulation) mais pas la masse monétaire :
Money base and M3 in Eurozone (2007=100)
Paul de Grauwe, Vox
En fait, quand la récession et la déflation menacent, les banques préfèrent thésauriser les liquidités obtenues auprès de la banque centrale, plutôt que de les prêter. Résultat : les réserves des banques augmentent mais pas la masse monétaire. Dans les années 30, comme l'ont montré Milton Friedman et Anna Schwartz, la Fed aurait du acheter massivement des bons du Trésor ; cela aurait évité l’effondrement de la masse monétaire, qui entraîna les Etats-Unis dans une spirale déflationniste fatale.
¤ La deuxième raison met en avant le problème de l’aléa moral. Quand des Etats traditionnellement laxistes savent qu’ils pourront, quoiqu’il arrive, continuer à se financer à peu de frais, leur discipline budgétaire risque de se relâcher encore plus. L’intervention de la BCE doit donc avoir pour contrepartie une réforme crédible du Pacte de Stabilité, et, en attendant, l’adoption par les pays en difficultés de politiques d’ajustement structurels crédibles (permettant de dégager à moyen terme un excédent primaire et de promouvoir la croissance, toutes choses qui impliquent des mesures politiquement douloureuses).
Quoiqu'il en soit, il faudra sans doute en passer par là. Et le plus tôt sera le mieux. Comme le montre le New York Times de ce jour, cela fait déjà deux ans que l'on savait que la Grèce était insolvable. Si on avait fait à l’époque ce qu’il fallait, l’ajustement des PIIGS aurait coûté moins cher à tout le monde.
Sources :
European summits in ivory towers & The European Central Bank as a lender of last resort, by Paul de Grauwe (Vox)
EZ rescue or recession? Fallout of the October 2011 package, by Richard Baldwin (Vox)
Eurozone crisis: Credibility is not everything, by Paulo Manasse (Vox)
Pulling for the home team (Economist)
1 commentaire:
Ah. Là je te retrouve.
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