Un martien nous rend visite. Captivé par ce qu’il découvre, il nous pose toutes sortes de questions. Qui a construit votre maison ? Chacun produit-il ce qu’il consomme ? Comment pourvoyez-vous à l’éducation de vos enfants ? Nous expliquons que nous payons pour notre alimentation, notre logement, l’éducation des enfants, avec ce que nous gagnons par notre travail. Le visiteur s’enquiert alors : est-ce que tout le monde gagne assez pour pourvoir à ses besoins ? Tout le monde a-t-il un toit, mange-t-il à sa faim, a-t-il étudié assez pour apprendre un métier ? Nous répondons que non, tous n’y parviennent pas.
Le martien s’étonne : ne vous sentez-vous pas obligé de satisfaire au moins les besoins essentiels de chacun ? Non, disons-nous, ce type d’obligation incombe au gouvernement. Le gouvernement reconnaît-il cette obligation ? Nous reconnaissons que le gouvernement n’est guère généreux. Le martien n’en revient pas. Nous lui expliquons que, quand quelqu’un a besoin de quelque chose, il peut se le procurer en l’échangeant contre le produit de son travail, ou l’acheter avec l’argent qu’il a épargné.
Mais, demande le martien, que se passe-t-il si l’on n’a rien à offrir en échange, ou si l’on ne dispose pas d’une épargne suffisante ? Là, c’est pas de chance, répondons-nous, il faut s’en remettre à la charité publique ; cela dit, chacun est libre d’offrir son travail et de gagner sa vie en travaillant ; il est libre d’épargner et la propriété de son capital est garantie. Mais, continue le martien, que se passe-t-il si le salaire actuel ou l’épargne passée ne suffisent pas à faire vivre sa famille ? C’est un problème, concédons-nous, surtout pour les travailleurs non qualifiés. N’avez-vous pas un programme pour former ces travailleurs ? Ben non, s’ils veulent se former, ils doivent retourner à l’école, et payer pour cela.
Le martien est médusé. Vous êtes en train de me dire que dans votre société, en dehors du droit de propriété et de la liberté de travailler, personne n’a de droit sur qui que ce soit, pas même sur le gouvernement, sauf à offrir quelque chose en retour ? Le fait d’être un être humain, un membre de la société, ne fait pas naître de droits sociaux ? Pas même un droit inspiré de la sympathie ou de la compassion ? Et vous vous prétendez des êtres humains ? Sur ces mots, le martien, révolté, s’en retourne chez lui.
Cette parabole ne rend pas justice à notre société: dans la réalité, nous avons des pensions de retraite, des allocations chômage, des minima sociaux, l’école publique… Mais de tels droits sont le résultat d’un choix collectif, d’un processus politique, ils ne doivent rien au système du marché. Par lui-même, le système du marché est aussi impitoyable que ce que le martien en découvre. Le marché n’a rien à offrir à celui qui n’offre rien en échange.
Adapté de Charles E. Lindblom : The market system, Yale Nota Bene, YUP, 2001, pages 112 - 15
1 commentaire:
Je t'ai connu plus pertinent ;-)
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