Une affaire clochemerlesque a récemment passionné les américains : un conflit de voisinage autour de huit sequoias, accusés par un voisin de faire de l'ombre à ses panneaux solaires. Ce cas est particulièrement instructif pour donner à comprendre la notion d'externalités, et la difficulté de leur internalisation en l'absence de droits clairement définis. En l'espèce, le plaignant a pu se prévaloir d'une obscure règle adoptée il y a 30 ans par l'Etat de Californie, mais jamais appliquée jusqu'alors. On verra toutefois que la solution juridique qui s'est imposée n'est en rien optimale au sens de Pareto. Une autre règlementation (comme celle proposée depuis par le sénateur Simitian) ou, mieux, un compromis coasien sur la base de la règlementation existante (comme celui que proposait initialement le plaignant), auraient sans doute permis d'arriver à une meilleure solution.
Les séquoias et les panneaux solaires
de Felicity Barringer, New York Times, 7 avril 2008
(ma traduction)
Sunnyvale, Californie. Appelons cela une éco-parabole: un couple, qui roule en Prius, est fier de ses huit séquoias -- les premiers auront bientôt douze ans. Leurs voisins, qui roulent en voiture électrique, sont fiers de leurs panneaux solaires, installés voici sept ans -– donc après que les premiers séquoias aient été plantés.
Dans cette péninsule inondée de soleil, au sud de San Francisco, les arbres passent généralement pour de bons citoyens, pas pour des criminels. Mais, depuis 1978, et une loi de l'Etat de Californie protégeant les propriétaires de panneaux solaires, les arbres sont considérés comme une « nuisance » quand ils privent de soleil les panneaux du voisinage. Leurs propriétaires s’exposent à devoir les abattre, sous astreinte de 1000 $ par jour (à compter du jour où la décision judiciaire leur a été signifiée). Cette loi est demeurée une curiosité jusqu'à la fin de l'année dernière, quand un conflit de voisinage a été porté devant le tribunal du comté de Santa Clara. Les Bissett ont été reconnus coupables de violer la loi, leurs séquoias privant de soleil plus de dix pour cent des panneaux solaires du plaignant, Mark Vargas.
Au milieu des années 1990, Carolyn Bissett, 48 ans, administrateur de contrats pour la Ville de Palo Alto, est revenue s’installer dans la maison de son enfance avec son mari. La maison était autrefois entourée de cerisiers, mais le verger a depuis disparu. A la place, il y a deux grandes maisons, dont l'une distante de 5 mètres à peine. C’est là que Mark Vargas, 38 ans, a emménagé en 1993. Lui et sa femme ont maintenant trois enfants. Il ont installé un spa dans le petit jardin et, dans un coin, ont même planté un peu de maïs.
Les Bissett et les Vargas se parlaient peu jusqu'en 1996, quand les trois premiers séquoias ont été plantés. Au cours des cinq années suivantes, les Bissett en ont plantés cinq de plus. Depuis, le carré de maïs des Vargas ne reçoit plus de soleil, et le maïs est mort.
En 2001, Vargas installe des panneaux solaires sur son toit et le treillis de son spa. Il informe alors ses voisins - brutalement, disent ces derniers – qu’en application de la loi californienne, ils vont devoir couper leurs séquoias. D’après lui, il leur a demandé tout cela poliment et a même offert de payer pour l’abattage, l'enlèvement et le reboisement.
Vargas n’obtient pas satisfaction jusqu'en 2005, quand John Fioretta, substitut du procureur du comté, ordonne l’ouverture de la première procédure judiciaire en application de la loi de protection des panneaux solaires. L’affaire se termine en décembre dernier avec la condamnation des Bissett par le Tribunal supérieur du comté de Santa Clara. Certes, le juge Kurt Kumli a admis qu'il était difficile de qualifier des arbres de «nuisance». Il n’en a pas moins estimé que les arbres n° 4, 5 et 6, qui ne faisaient pas problème au moment où les panneaux solaires furent installés, privaient désormais de soleil plus de 10 % d’entre eux. Le juge a toutefois accepté de surseoir à l’abattage de l'arbre n°6, estimant qu’il fallait attendre le prochain solstice d'hiver -- le 21 décembre 2008, le moment où le soleil est au plus bas dans le ciel --, pour savoir si cet arbre constituait véritablement une nuisance pour les panneaux du spa. Quant aux arbres n° 1, 2 et 3, qui étaient déjà grands quand les panneaux furent installés, et aux arbres n° 7 et 8, qui ne sont pas en cause, le juge a convenu qu’ils ne violaient pas la loi.
A l’issu du verdict, les Bissett ont déclaré qu’après avoir dépensé plus de 37 000 $ en frais de justice, ils n'avaient plus d'argent pour faire appel. Aussi, le mois dernier, le couple a fait procéder, à ses frais et la mort dans l’âme, à l’abattage des arbres n° 4 et 5, et à l’élagage sur environ 15 pieds de l'arbre n°6.
L'événement a attiré plus de photographes et de reporters qu’un épisode de Home Extreme Makeover. "Un peu partout dans le pays, chacun a des problèmes comparables avec ses voisins," explique le sénateur Joe Simitian, de Palo Alto. "Tout le monde peut s’imaginer aussi bien d'un côté comme de l'autre."
Les Bissett n’en sont pas encore revenus. "Quand j’ai reçu la citation à comparaître, c'est comme si j'avais reçu un coup dans la poitrine", a déclaré Carolyn Bissett. De son côté, Vargas dit que tout cela aurait pu être évité : "Je voulais juste qu’ils remplacent leurs séquoias par des arbres plus appropriés en bordure de propriété. Une haie de 60 pieds de haut, à 5 mètres de chez soi, n’est-ce pas déraisonnable ?"
Pendant ce temps, le sénateur Simitian a déposé un projet de loi qui garantirait le droit de grandir en paix à tous les arbres plantés avant que des panneaux solaires soient installés. L'Etat de Californie, souligne Simitian, a déjà une loi pour encourager l’installation de panneaux solaires chez un million de particuliers. "J'essaie d'éviter un million de procès".
Photo aérienne des lieux
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