Résumé de Farewell to Alms (II)
On a vu que, dans un monde malthusien, le revenu moyen oscille autour du niveau subsistance, le niveau de vie correspondant à l’équilibre démographique. Le progrès technique, modeste mais réel, ajoute au nombre des hommes, pas au niveau de vie.
C’est ainsi qu’en 1800, l’Angleterre avait beau être le pays le plus riche du monde, seule une fraction de ses sujets était véritablement riche, et parfois extraordinairement riche – comme dans les romans de Jane Austen. L’anglais type, quant à lui, devait travailler 300 jours par an, du levé à la tombée du jour – soit dix heures de labeur quotidien, aussi bien en 1700 qu’en 1800. Sa nourriture consistait en pain, un peu de fromage, et du lard, avalés avec un thé léger et, pour les hommes, de la bière. Les repas chauds étaient rares, car le bois de feu et le charbon coûtaient cher. On se couchait à la nuit, car les bougies et les chandelles étaient hors de prix. Une famille de cinq ou six vivait dans un cottage de deux pièces, chauffé par un feu de bois ou de charbon. A peu près rien de ce qu’ils consommaient n’était inconnu des habitants de Mésopotamie. Pour peu que ces derniers aient disposé de plus de viande ou de plus d’espace, ils auraient eu un niveau de vie bien supérieur.
Pour autant, les économies préindustrielles n’étaient pas des économies de la misère. C'est que le revenu de subsistance ne correspond pas nécessairement au revenu minimum de subsistance. Il varie dans le temps et dans l’espace et dépend, en dernière analyse, du régime démographique.
Les niveaux de vie dans un monde malthusien
Le niveau de subsistance varie dans le temps. En 1400, après la dépopulation consécutive à la pandémie de peste noire, le salaire réel des ouvriers agricoles anglais était de 18 livres de blé par journée de travail. En 1650, il était de 9 livres (cf. graph. 1). Mais, si l’on sait que 2 livres de blé correspondent à 2400 calories, on voit que, même à ce niveau, les salaires étaient encore très au-dessus du minimum de subsistance. L’évolution des salaires réels est calculée à partir de l’évolution des salaires nominaux et des prix d’un panier de biens pondérés par l’évolution des coefficients budgétaires. On voit qu'en 1800, un ménage ouvrier consacrait les trois quarts de son revenu à l’alimentation (cf. tableau 1).
Tableau 1. Coefficients budgétaires d’une famille d’ouvrier agricole en 1800
Alimentation : 75 %
Dont Céréales et Féculents : 44 %
Produits laitiers : 10 %
Viande : 9 %
Boisson (thé, bières) : 8 %
Sucre, miel, épices, sel : 4 %
Habillement et Literie : 10 %
Logement : 6 %
Chauffage : 5 %
Eclairage, hygiène (savon) : 4 %
Graphique 1. Evolution des salaires réels des ouvriers agricoles et des ouvriers du bâtiment en Angleterre, 1200-1810
Le niveau de subsistance varie aussi dans l’espace. Un ouvrier agricole anglais de 1800 était moins bien nourri que les chasseurs-cueilleurs, ses « ancêtres contemporains ». Jacques Lizot a ainsi montré qu'un chef de famille yanomami consommait en moyenne 1900 calories par jour et 65 grammes de protéines (Les yanomamis centraux, 1984, EHESS). De son côté, un ouvrier agricole consommait, en 1787-96, 1505 calories par jour et 28 grammes de protéines. Cependant, le premier n’avait besoin que de 2,8 heures de travail par jour pour se nourrir, contre 8,2 pour le second !
Les anglais étaient eux-mêmes mieux nourris que les autres européens ou que les asiatiques. C’est ce que révèle la comparaison de la taille des hommes à l’âge adulte. En 1710-1759, les prisonniers et les métayers anglais mesuraient 1 mètre 71, soit sept à dix centimètres de plus que leurs homologues chinois ou indiens un siècle plus tard (et douze centimètres de plus que les japonais de la fin du 19ème siècle). Mais il y avait plus grand que les anglais. Les relevés de Franz Boas à la fin du 19ème siècle montrent que les indiens des plaines américaines mesuraient alors 1 mètre 72.
Si, dans la plupart des sociétés préindustrielles, le revenu de subsistance est supérieur au minimum de subsistance, cela tient au contrôle que ces sociétés exerçaient sur le nombre des hommes.
Le régime démographique
Dans le monde malthusien, le seul moyen d’améliorer durablement le niveau de vie consiste à réduire la population, soit en augmentant la mortalité, soit, plus raisonnablement, en réduisant la natalité.
En 1650, les femmes anglaises donnaient le jour en moyenne à 3,6 enfants, soit trois fois moins que le maximum biologique. Le standard de comparaison est ici les femmes huttérites : ces anabaptistes installés au Canada étaient mariées avant 20 ans et faisaient en moyenne 10,6 enfants.
Trois particularités remarquables expliquent la très faible fertilité des femmes anglaises:
- L’institution du mariage tardif : jusqu’au 18ème siècle, les femmes anglaises se mariaient en moyenne autour de 25 ans.
- Un taux de célibat élevé : 10 à 25 % des femmes ne se mariaient pas.
- Un taux très faible de naissances illégitimes (3 à 4 % des naissances), contrepartie d’un contrôle social étroit de la sexualité hors mariage.
Ces trois caractéristiques expliquent l’essentiel du différentiel de fécondité avec les femmes huttérites, le reste tenant à la moins bonne santé des anglaises et à la mortalité élevée des femmes en couche.
C’est donc par la régulation du mariage que les sociétés européennes parvenaient à maintenir un niveau de vie relativement élevé. Comme l’écrivait Malthus, “in almost all the more improved countries of modern Europe, the principal check which keeps the population down to the level of actual means of subsistence is the prudential restraint on marriage”.
Limiter la natalité présentait en outre l’avantage d’élever l’espérance de vie. Si le taux de natalité est au maximum biologique de 60 pour mille, l’espérance de vie correspondant au niveau d’équilibre démographique est de 17 ans. Avec un taux de 27 pour mille, comme celui de l’Angleterre en 1650, l’espérance de vie atteint 37 ans : vingt ans de plus ! Dans la mesure où près d’un enfant sur trois n’atteignait pas l’âge d’homme, une espérance de vie de 37 ans à la naissance correspond à une espérance de vie identique à 15 ans. Ceux qui avaient la chance de fêter leur quinzième anniversaire pouvaient espérer vivre en moyenne jusqu’à 52 ans.
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