28 févr. 2007

Le profit

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Comme le rappelait Milton Friedman, « il existe peu de termes économiques auxquels on ait donné autant de significations différentes que le mot profit » (*). Dans l'usage courant, le profit est généralement confondu avec le concept comptable de bénéfice -- « la différence entre les recettes et les coûts contractuels » -- et, plus précisément, le bénéfice disponible pour rémunérer l’entrepreneur et les propriétaires du capital. Hélas !, nous dit Friedman, le « profit » ainsi entendu est un terme « ambigu, superflu et trompeur ».
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« Il est ambigu parce qu’il est toujours difficile de faire une distinction claire entre cette rémunération de facteur qu'on appellera profit et celles qu'on appellera autrement : salaires, rémunération du capital, intérêt, dividendes, etc. Il est superflu parce qu'il existe d'autres termes pour décrire toutes les rémunérations de facteurs. » Imaginons deux petites entreprises réalisant un chiffre d'affaires identique avec la même quantité de facteurs: la première s'autofinance, le patron est propriétaire des lieux et dirige lui-même son affaire; la seconde se finance à crédit, elle est locataire des murs et dirigée par un gérant salarié. Le bénéfice de la première sera très supérieur au bénéfice de la seconde. En réalité, la différence correspond à la rémunération d’un travail non contractuel (celui du patron-gérant), et d’un capital non contractuel (l’épargne de l’entreprise et le local mis à disposition).
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Enfin, « il est trompeur parce qu'il tend à suggérer que les agents économiques cherchent à maximiser le profit et non les autres rémunérations de facteurs. ... Les ouvriers cherchent à maximiser la rémunération de leur travail, exactement comme les propriétaires de terrains cherchent à maximiser le rendement de ceux-ci, et les propriétaires de capital celui de leur capital. Celui qui encaisse le revenu résiduel cherche à maximiser le revenu espéré des ressources qu'il possède. Le principe fondamental d'une économie de libre entreprise et d'échange monétaire peut être décrit plus justement comme la maximisation des rémunérations que comme la maximisation du profit. »

Qu'est-ce donc que le profit pour les économistes ?

¤ Dans les manuels de microéconomie (eg, le Varian), le profit désigne la différence entre les recettes et les coûts évalués à leurs prix de marché (ie à leur coût d'opportunité). Dans l'exemple cité plus haut, le profit de la première entreprise se calcule en intégrant parmi les coûts un loyer fictif, un taux d'intérêt fictif (le coût d'opportunité de l'autofinancement) et le salaire fictif d'un gérant. Au final, le profit est exactement le même que celui de la seconde entreprise. S'il est positif, cela signifie que ces entreprises sont particulièrement efficientes (ou qu'elles bénéficient d'une rente de situation) : elles pourront se développer et rémunérer leurs facteurs de production au delà de ce qu'exige le marché. S'il s'agit d'une coopérative ou d’une mutuelle, elle pourra faire bénéficier ses membres de meilleurs services. Dans tous les cas, elles pourront se développer ou distribuer plus de revenus.

Selon cette définition, ce qui distingue une multinationale du CAC 40 d’une coopérative ou d’une mutuelle, ce n'est donc pas la recherche du profit, mais la finalité du profit: les unes voudraient l'affecter prioritairement aux actionnaires, les autres à leurs adhérents ou à leurs salariés. Dans la pratique, toutefois, la différence n'est pas si marquée: concurrence oblige, les profits des Michelin ou de la Société Générale seront volens nolens rétrocédés aux salariés et aux clients. C'est pourquoi, sur longue période, les salaires réels progressent en ligne avec la productivité.

¤ Mais il existe une autre définition du profit, proposée par Frank Knight dans Risk, Uncertainty, and Profit, et qui a la préférence de Milton Friedman. Pour Knight, le profit désigne la différence entre le revenu résiduel espéré et le revenu résiduel réalisé. Le profit est alors « lié intimement à l'incertitude », il est « une conséquence de celle-ci » et non plus « la récompense pour s'être soumis à l'incertitude ».

Friedman donne l’exemple d’une loterie. « Imaginons que 1000 personnes se rassemblent, que chacune est d'accord pour donner 1 $ et pour participer à un tirage fait strictement au hasard à la suite duquel l'une d'elles gagnera 1000 $, alors que chacune des autres n'aura rien. Avant le tirage, chacune a une rémunération espérée de 1 $. Après le tirage, une personne se retire avec un profit de 999 $, et 999 personnes se retirent avec une perte de 1 $. L'incitation à participer à cette loterie a été la perspective d'un tel résultat, mais cela n'a évidemment pas de sens de dire que les participants ont cherché à maximiser le profit, dans l'acception employée ici. Personne ne pouvait dire à l'avance ce que serait son profit ; donc celui-ci ne pouvait pas déterminer un comportement. Compliquons le problème en y introduisant les coûts de mise en place de la loterie ; ceux-ci sont, par exemple, de 100 $. C'est une rémunération de facteur pour l'entreprise qui l'organise. Avant le tirage, la rémunération espérée par chaque acheteur d'un billet est 90 cents, représentant la valeur actuarielle du prix qu'il peut gagner, plus 10 cents pour le service de consommation qui permet de participer à la loterie. Ex post, le gagnant a une rémunération de 900,10 $, et un profit de 899,10 $ ; chaque perdant a une rémunération de 10 cents et un profit de - 90 cents ».

On peut transposer cet exemple à la vie économique réelle. « Une entreprise emploie certains facteurs de production sur une base contractuelle et garantit aux propriétaires de ceux-ci une rémunération bien définie ». Le revenu résiduel est la seule rémunération incertaine. Supposons, pour simplifier, que le revenu résiduel serve seulement à rémunérer l’entrepreneur. Ce dernier décide quoi produire, comment produire et combien produire, sur la base d’anticipations de coûts et de recettes : parmi les différentes lignes d’actions ouvertes, il choisit celle qui laisse entrevoir la rémunération la plus élevée. « Après coup, il obtient en fait une certaine rémunération. Si celle-ci est supérieure à ce qu'il espérait, il réalise un profit positif ; sinon c'est une perte. »

En réalité, les propriétaires des divers facteurs de production sont tous plus ou moins dans cette situation. « Par exemple, on pourra garantir à un ouvrier un certain salaire horaire sans lui garantir un nombre quelconque d'heures de travail par an, ou encore on peut l'embaucher pour travailler à la pièce, ou avec un accord de participation aux bénéfices ». A l’arrivée, « il y aura une différence entre sa rémunération effective et celle qu'il avait espérée. Il encaissera un profit ou il subira une perte. »
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Bref, la recherche du profit, au sens économique défini ci-dessus, n'est pas seulement le but de toute entreprise, c'est aussi l'objectif de tous les acteurs qui apportent à l'entreprise des facteurs de production. La maximisation du profit n'est donc pas l'affaire des seuls entrepreneurs et des capitalistes, c'est aussi l'affaire des travailleurs.

Source
Les citations (en bleu) sont extraites de Milton Friedman : Prix et Théorie économique, Chapitre 16: Le Profit (pp 325-28), Economica 1983.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'incitation à participer à cette loterie a été la perspective d'un tel résultat, mais cela n'a évidemment pas de sens de dire que les participants ont cherché à maximiser le profit, dans l'acception employée ici. Personne ne pouvait dire à l'avance ce que serait son profit ; donc celui-ci ne pouvait pas déterminer un comportement.

Je ne suis pas d'accord avec vous,si les participants à la loterie mettent un dollar chacun c'est qu'il pense gagner 999 dollars donc dire que Personne ne pouvait dire à l'avance ce que serait son profit, c'est faux, car si le ticket A mise 1 dollar il espère un profit de 999 $