21 nov. 2006

In Memoriam: Milton Friedman

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Cattle die, kindred die,
Every man is mortal:
But the good name never dies
Of one who has done well.
(Sur le site de David Friedman)
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Nécrologie

Cf. aussi cette vidéoconférence (téléchargement long) de l'Université de Chicago, où Gary Becker, Robert Lucas, Eugène Fama et Samuel Peltzman évoquent la mémoire de Milton Friedman.
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en français
Milton Friedman, par Dominique Roux (Le Monde).
L'homme qui compléta les travaux de Keynes, par Bradford DeLong (Les Echos)
On peut consulter aussi:
Altius: Milton Friedman, par Bernard Salanié
Vive Milton Friedman, par Thomas Piketty (Libé)
L'héritage de Milton Friedman, par Jean-Marc Vittori (Les Echos)
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en anglais
A man who hated government, par Bradford DeLong (Salon)
Friedman Debunked the Gospel of Keynes, par Steve Pearlstein (Wash. Post)
Milton Friedman, par Samuel Brittan (Fin. Times)
Capitalism and Friedman (Wall Street Journal)
A Man of Ideas in the Arena, par Robert Samuelson (Newsweek)
A heavyweight champ, at five foot two -- How Milton Freed Man (Economist)
The Other Milton Friedman: A Conservative With a Social Welfare Program, by Robert Frank (NYT)

Tribunes dans la presse

Une sélection de ses chroniques dans The Wall Street Journal et dans Newsweek: Friedman on Minimum Wage (1966), on Economic recession (1984), on Volonteer Army (1974)

Films

La fabuleuse série Free to choose, de PBS, est entièrement disponible en ligne sur Ideachannel.
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Entretiens

Vidéo: Milton Friedman on Limited Government (Open Mind, 30 mn)
Plus de vidéos : Free to choose, Google videos, YouTube
Audio: Friedman on Capitalism and Freedom (Econtalk, 43 mn)

Livres

Parmi les ouvrages de Milton Friedman disponibles en français, on peut citer:

Prix et théorie économique, Economica, 1983 (Price Theory, 2ème édition américaine, 1976). Un précis de microéconomie.
Capitalisme et liberté, Robert Laffont, 1971 (1962). Epuisé ! Reste le marché de l'occasion (abebooks, ebay...) -- cf. le compte rendu de The Economist en 1963.
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Autobiographie
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Autobiography (Nobel prize site). Et ce superbe portrait de l'ami Léo Rosten : An Infuriating Man, où l'auteur se demande pourquoi un homme aussi adorable était-il aussi détesté ?
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Milton Friedman et George Stigler, lors de leur promenade quotidienne à Chicago, dans les années 60

20 nov. 2006

Quand la parité accroît l'inégalité sociale

Dans un article du New York Times magazine (The Real Marriage Penalty), on apprend que l'égalité économique croissante entre les hommes et les femmes contribue à augmenter l'inégalité sociale. Autrefois, c'était surtout les femmes des pauvres qui travaillaient ; aujourd'hui, non seulement les bourgeoises travaillent, mais elles tendent à gagner autant que leurs maris (e.g., la femme du médecin est de plus en plus souvent elle-même médecin -- cf. ce n° d'Etudes et Résultats: La situation professionnelle des conjoints de médecins, pdf). Il en résulte une augmentation structurelle des inégalités de revenus entre ménages. On peut le montrer au moyen d'un exemple très simple comparant les revenus d'un couple de bourgeois et d'un couple d'ouvriers:

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A cela s'ajoutent probablement les effets d'une homogamie croissante. La segmentation sociale croissante des lieux de vie et de travail (cf. ce diaporama ppt -- 3 Mo -- de James Galbraith sur l'évolution des inégalités spatiales de revenus aux USA depuis 1969), ou des innovations technologiques comme le online dating, ont multiplié les opportunités d'appariements sélectifs. Comme le dit ce psychologue évolutionniste: “assortative mating is driven by our personal preferences, but also by whom we meet, and these days we have many more opportunities to meet others like ourselves.”


J'ajouterai un autre changement structurel qui joue dans le même sens : aux US, les pauvres vivent de plus en plus dans des ménages isolés ou monoparentaux ; c'est l'inverse chez les riches. Ainsi, les taux de célibat et de divorce des femmes les moins diplômées sont désormais plus élevés que ceux des femmes les plus diplômées. S'agissant du divorce, les écarts sont spectaculaires, et ils augmentent depuis trente ans (cf. graph. ci-dessous).

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Marriages with a Marital Dissolution within 10 Years, as a Percent of All First Marriages for U.S. Women, by Detailed Educational Attainment for First Marriages in 1970 – 1974 and 1990 – 1994 (fichier word)

11 nov. 2006

L'inégalité sociale devant le sexe

Dans les cours de sciences économiques et sociales des lycées, on étudie les inégalités de revenus, les inégalités devant l'emploi, les inégalités des chances scolaires, les inégalités sociales devant la mort, etc. Mais il est une forme d'inégalités dont on ne parle guère, alors même qu'elles sont probablement parmi les plus sensibles, je veux parler des inégalités de réussite sexuelle.

A ma connaissance, le sujet préoccupe peu la sociologie... A défaut de sociologues, on peut se tourner vers les romanciers. Par exemple, vers Michel Houellebeck, sans doute le plus sociologue de nos romanciers. Dans Extension du domaine de la lutte, il soutient de façon convaincante que "la sexualité est un système de hiérarchie sociale" :

Dans nos sociétés, le sexe représente bel et bien un second système de différenciation, tout à fait indépendant de l’argent ; et il se comporte comme un système de différenciation au moins aussi impitoyable. Les effets de ces deux systèmes sont d’ailleurs strictement équivalents. Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l’amour tous les jours ; d’autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l’amour avec des dizaines de femmes ; d’autres avec aucune. C’est ce qu’on appelle la " loi du marché ". Dans un système économique où le licenciement est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver sa place. Dans un système sexuel où l’adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit. En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d’autres sont réduits à la masturbation et la solitude. Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société.
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Sur le plan économique, Raphaël T. appartient au camp des vainqueurs ; sur le plan sexuel, à celui des vaincus. Certains gagnent sur les deux tableaux ; d’autres perdent sur les deux. Les entreprises se disputent certains jeunes diplômés ; les femmes se disputent certains jeunes hommes ; les hommes se disputent certaines jeunes femmes ; le trouble et l’agitation sont considérables.

Michel HOUELLEBECQ : Extension du domaine de la lutte, 1994, J’ai Lu.

L'exégèse d'un critique

Le personnage principal est un cadre moyen d’une société de service en informatique, frappé d’une sorte de disgrâce physique moyenne, pas assez prononcée pour relever de la chirurgie, mais suffisamment pour lui ôter toute séduction ; qui convoite des secrétaires ; doté de cette vulgarité de dragueur congédié qui traite de pétasse toutes les cibles qui se sont dérobées ; qui souffre tellement de ne pas réussir dans ses desseins qu’il contracte une dépression nerveuse.

Mais du fond de cette dépression jaillit une grille de lecture du monde contemporain où l’axe des abscisses mesure l’intensité de la compétition économique, et l’axe des ordonnées celle de la compétition sexuelle. De là, il suffit de faire traverser le plan de deux droites perpendiculaires pour aboutir à une typologie rustique mais féconde de nos contemporains. Quatre cases s’y logent : les gagnants sexuels et économiques (case 1, en haut à droite) surplombent les gagnants économiques et perdants sexuels (case 2) ; ceux-ci jalousent les gagnants sexuels et perdants économiques (case 3) qui le leur rendent bien ; tout le monde méprisant et victimisant à la fois les doubles perdants (case 4, en bas à gauche).

A cette dernière catégorie appartient notre héros, qui offre cet intérêt littéraire de n’être nullement révolté par la loi de compétition que nous venons de décrire. Au contraire, il accepte humblement ce criblage, il l’accepte comme loi et comme finalité, en prenant sur lui de mériter la devise "baisable et performant" qui s’inscrit dès la maternité dans le surmoi de l’homme moderne.

Marin de VIRY : CR de l'ouvrage de Houellebeck, Commentaire, hiver 1998

L'exclusion sociale menace ceux qui ne sont ni "baisables" ni "performants", les laissés pour compte de la sélection sexuelle et de la sélection économique. Deux formes d'exclusions qui se renforcent l'une l'autre. En effet, de nombreuses études empiriques le démontrent : l'accès aux femmes dépend du statut social. Ainsi, les cadres trouvent plus facilement à se caser que les ouvriers. A 47 ans, ces derniers sont deux fois plus nombreux que les premiers à n'avoir jamais vécu en couple. C'est l'inverse chez les femmes...

Proportion d'hommes et de femmes n'ayant japais vécu en couple, et n'ayant jamais eu d'enfants, selon la PCS, en 1999
Il semble, en outre, que les professions intellectuelles supérieures contractent les unions les plus solides. Une étude américaine montre ainsi que le taux de divorce, après dix ans de mariage, est trois fois plus élevé chez les hommes non diplômés du supérieur que chez les diplômés d'un Master ! Et l'écart se creuse depuis trente ans.
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Enfin, une étude sur les agences de rencontre en ligne révèle une inégalité sociale considérable : la moitié des hommes ne reçoivent aucune proposition féminine mais certains en reçoivent plus de 300, la probabilité de succès augmentant fortement avec le revenu. En revanche, il n'y a guère de relation entre le revenu et le succès chez les femmes. Cf. les graphiques de ce blog sur le online dating.
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Tout ceci pourrait expliquer le sursuicide des hommes des PCS populaires. Le taux de suicide des ouvriers est 3,2 fois plus élevé que celui des cadres. Chez les femmes, l'écart est six fois moins important...
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Risque relatif de décès, ajustés selon l’âge, des hommes ayant eu une activité entre 1968 et 1999, pour les différentes PCS (base 100 = les cadres)Risque relatif de décès, ajustés selon l’âge, des femmes ayant eu une activité entre 1968 et 1999, pour les différentes PCS (base 100 = les cadres)

Champ : échantillon démographique permanent, soit 137 860 hommes (35 968 décès) et 105 290 femmes (13 797 décès). Source: Analyse de la mortalité et des causes de décès par secteur d’activité de 1968 à 1999 à partir de l’Echantillon démographique permanent (INVS)

Dans le détail, le taux de suicide masculin est le plus élevé chez les chômeurs, les employés et les ouvriers non qualifiés :

Taux de suicide des actifs masculins (/100 000) en 1989-94Source: Nicolas Bourgoin - Suicide et activité professionnelle, Population vol.1, 1999

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Tout n'est pas perdu cependant. La mondialisation offre une deuxième chance aux losers de la compétition sexuelle. Si le marché des femmes s'internationalise, le français "ni baisable ni performant" a toutes ses chances. C'est du moins l'analyse de Michel, le personnage de "Plateforme" :

D’un côté tu as plusieurs cen­taines de millions d’Occidentaux qui ont tout ce qu’ils veulent, sauf qu’ils n’arrivent plus à trouver de satis­faction sexuelle... ils cherchent, ils cherchent sans arrêt, mais ils ne trouvent rien, et ils en sont malheureux jusqu’à l’os. De l’autre côté, tu as plusieurs milliards d’individus qui n’ont rien, qui crèvent de faim, qui meurent jeunes, qui vivent dans des conditions insa­lubres, et qui n’ont plus rien à vendre que leur corps, et leur sexualité intacte. C’est simple, vraiment simple à comprendre c’est une situation d’échange idéale. Le fric qu’on peut ramasser là-dedans est presque inimagi­nable c’est plus que l’informatique, plus que les bio­technologies, plus que les industries des médias; il n’y a aucun secteur économique qui puisse y être comparé.
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Michel HOUELLEBECQ : Plateforme, 2001

6 nov. 2006

Criminalité et précipitations en Bavière au 19ème siècle

En étudiant une vieille série statistique bavaroise, trois économistes de l'université d'Oslo ont observé qu'au cours des années 1833 - 1863, la délinquance contre les biens variait en fonction croissante de la pluviométrie (figure 5).

A l'analyse, il y a bien une relation de causalité entre ces deux variables. Mais, dans la chaine causale, la pluviométrie n'est que la "cause première". Quelle est la "cause prochaine" ?

Réponse:

De fortes pluies réduisent la récolte de seigle. Partant, on observe une forte corrélation positive entre la pluviométrie et le prix du seigle (figure 4).


Or, à l'époque, les pauvres consacraient en moyenne 80 % de leurs revenus à l'alimentation, et le seigle constituait l'essentiel de leur diète. Une forte hausse du prix du seigle réduisait fortement leur pouvoir d'achat. Les pauvres étaient alors en plus grand nombre poussés, ou incités, au vol (figure 2).

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La variable cachée est donc le prix du seigle (figure 1), dont dépend le revenu réel des pauvres.
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Curieusement, les mêmes économistes observent une forte corrélation négative entre le prix du seigle et les crimes violents (figure 3).
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Ici, la variable cachée est vraisemblablement la consommation d'alcool ! En effet, le seigle sert aussi à fabriquer la bière, qui représente en temps normal 10 % du budget des pauvres. Quand le prix du seigle s'envole, non seulement, il reste beaucoup moins d'argent pour acheter la bière, mais celle-ci est elle-même beaucoup plus chère. Par la force des choses, les pauvres boivent moins, et les violences liées à l'alcool diminuent en conséquence...

Source: Rainfall, Poverty and Crime in 19th Century Germany, by M. Halvor, E. Miguel and R. Torvik, cité in Freakonomics: The Price of Climate Change, by Steven Levitt & Stephen Dubner (NYT).