20 août 2006

Le mythe de l'ascenseur social en panne

Contrairement à une idée reçue, l’ascenseur social n’est pas tombé en panne. En vérité, il monte ou descend toujours près d’un français sur deux.

C’est ce que montre la dernière enquête Formation – Qualification Professionnelle conduite par l’INSEE en 2003 (En un quart de siècle, la mobilité sociale a peu évolué – Données sociales 2006). Le taux de mobilité sociale reste à un niveau record : en 2003 comme en 1993, 65 % des hommes âgés de 40 à 60 ans occupent ou occupaient une PCS distincte de celle de leur père. C’est 8 points de plus qu’en 1977.

Il faut ici faire la part de la mobilité verticale (ascension sociale et démotion sociale) et de la mobilité de proximité (par exemple, le fait pour un fils d’agriculteur de devenir ouvrier). Si l’on regroupe les 6 PCS en trois classes - la classe supérieure comprenant les cadres et autres prof intellectuelles sup, la classe moyenne comprenant les professions intermédiaires et les artisans, commerçants, chefs d’entreprise, et la classe populaire comprenant les trois autres PCS – on observe que l’ascenseur social marque légèrement le pas. Le taux de mobilité verticale des hommes ressort à 45.5 %, en baisse de presque deux points par rapport à 1993, mais c'est encore 9 points de plus qu'en 1977.

La baisse du taux de mobilité verticale s'explique par la chute du taux d’ascension sociale des fils d’employés (- 5 points). En dix ans, le taux de mobilité verticale des fils de professions intermédiaires est resté stable, comme celui des fils d’ouvriers. A l’autre extrémité de la pyramide sociale, on observe que l’ascenseur social descend de plus en plus de fils de cadres (+ 5 points). L’un dans l’autre, si l’on prend deux enfants au hasard, l’un fils d’ouvrier et l’autre fils de cadre, la probabilité que ce dernier soit cadre et que le premier soit ouvrier se rencontrait 26.6 fois plus souvent que l’inverse. A comparer avec 40 en 1993, et 90 en 1977.

C’est déjà ce que montraient les résultats de l’Enquête Budget des Familles réalisée par l’Insee en 1979 et en 2002. Si l’on prend au hasard deux hommes de 30 à 50 ans, l’un fils d’ouvrier et l’autre fils de cadre, la probabilité que ce dernier soit cadre et que le premier soit ouvrier se rencontrait 76 fois plus souvent que l’inverse en 1979, contre 32 fois "seulement" en 2002. (cf. tableau 6 in Le revenu selon l’origine sociale, Arnaud Lefranc, Nicolas Pistolesi et Alain Trannoy, Économie et Statistiques N° 371, 2004).

Finalement, la baisse du taux de mobilité verticale est relative. Elle serait probablement réduite à peu de chose si l’on intégrait les femmes : entre 1985 et 1993, la mobilité verticale des femmes avait en effet augmenté deux fois plus que chez les hommes : + 2.2 points contre + 1 point (cf. tableau 2 in L. A. Vallet : Change in Intergenerational Class Mobility in France from the 1970s to the 1990s and its Explanation, Cahier du Lasmas 2005).


* j’ai regroupé les 6 PCS en trois classes : la classe supérieure comprend les cadres (et prof intellectuelles sup) ; la classe moyenne comprend les professions intermédiaires et les artisans, commerçants, chefs d’entreprise ; la classe populaire comprend les trois autres PCS.
** part des PCS moyennes et supérieures
*** part des professions intermédiaires et des PCS populaires
**** part des PCS populaires
***** la probabilité que les fils d’ouvrier soient ouvriers et que les fils de cadre soient cadres = 0.46 x 0.52 = 0.2392 (soit 24 %) ; la probabilité que les fils d’ouvrier soient cadres et que les fils de cadre soient ouvriers = 0.10 x 0.09 = 0.009 (soit 1 %). Le rapport d'odds ratios ressort donc à : 0.239 / 0.009 = 26.6

nb: la composition interne des PCS se modifie au cours du temps : les agriculteurs sont de plus en plus gros ; les ouvriers sont de plus en plus qualifiés ; les cadres supérieurs de plus en plus hétérogènes (avec la paupérisation relative des enseignants)... Partant, les calculs de taux de reproduction sociale et de mobilité verticale demanderaient des catégories plus fines.

ps : sur ce sujet, cf. aussi mes deux blogs : Génération CPE, génération sacrifiée ? et La frustration relative et la démocratisation de l’école

1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'ascencseur n'est pas en "panne" mais la flèche positive de l'histoire n'existe pas. Le sentiment que chacun avait de pouvoir espèrer mieux que ses parents disparaît dans une précarité croissante.

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