21 févr. 2006

Acting White

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“Go into any inner-city neighborhood, and folks will tell you that government alone can’t teach kids to learn. They know that parents have to parent, that children can’t achieve unless we raise their expectations and turn off the television sets and eradicate the slander that says a black youth with a book is acting white.”

Barack Obama, Keynote Address, Democratic National Convention, 2004

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Jeune économiste noir, formé à Chicago par James Heckman, Roland G. Fryer est assistant professor à Harvard. Dans la dernière livraison d'Education next (*), il s'intéresse à la relation entre la mauvaise réussite scolaire des enfants noirs et un ensemble d'attitudes hostiles à la culture scolaire résumées dans l'expression "Acting white".

Acting white, « faire le blanc », est le sempiternel reproche jeté à la tête des bons élèves noirs. Dans la mesure où les jeunes recherchent l’estime de leurs pairs, on comprend que de bons élèves puissent lever le pied à l’école, histoire de ne pas s'exposer aux quolibets de leurs camarades. L’ostracisme qui frappe ces bons élèves pourrait ainsi expliquer que, à niveau social égal et dans des écoles identiques, les enfants noirs obtiennent en moyenne de moins bons résultats que leurs homologues blancs (cf. Falling behind, Education Next, Fall 2004).

Mais qu’en est-il exactement ? Est-il vrai que les bons élèves noirs sont moins populaires parmi leurs pairs ? Est-ce le contraire pour les bons élèves blancs ?

Les données

Pour le savoir, Roland Fryer a utilisé les données de la National Longitudinal Study of Adolescent Health (1994) sur les relations de camaraderie de 90 000 élèves américains de 175 écoles (de la septième à la douzième). Les élèves étaient invités à citer leurs cinq meilleurs copains de chaque sexe.

Pour évaluer la popularité d’un jeune, il suffit de classer les enfants de chaque école en fonction du nombre de citations qu’ils reçoivent, en prenant soin d’affecter un poids plus élevé aux citations émanant des individus les plus cités. Les enfants les plus populaires sont les enfants les plus cités par les autres enfants populaires. Et les moins populaires sont les enfants les moins cités, ou seulement par les enfants les moins populaires.

Pour mesurer la réussite scolaire, l’auteur a fait la moyenne des notes rapportées par les élèves, en réponse à une question sur les dernières notes obtenues en maths, anglais, histoire, et science.

Pour raisonner toutes choses égales par ailleurs, l’auteur a ensuite contrôlé la relation en neutralisant des facteurs comme le niveau d’éducation des parents, la participation aux activités scolaires extra éducatives (sport, cheerleaders, etc) et le travail personnel de l’élève (il est en effet possible que ce soit moins la réussite scolaire que le sérieux scolaire qui soit pénalisé par les pairs).

Les résultats

L’enquête révèle clairement un effet Acting White chez les enfants noirs, et plus encore hispaniques. Dans ces milieux, il y a bien une pénalité en terme de popularité infligée aux bons élèves. A l’inverse, les enfants blancs sont d’autant plus populaires qu’ils sont bons à l’école (cf. graphique 1).
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Chez les noirs, le préjudice social est plus particulièrement fort pour les garçons. La popularité diminue un peu plus tôt (à partir d’un indice 3.25 vs 3.5 pour les filles), et surtout la chute est alors beaucoup plus prononcée.

Une explication possible serait que les bons élèves noirs sont simplement beaucoup plus isolés dans leur école. Mais la relation persiste quand on ajuste les données pour raisonner à densité comparable de bons élèves.

En revanche, la relation négative entre la popularité et le niveau scolaire disparaît quand on considère les seules écoles privées, qui scolarisent seulement 6 % des élèves graphique 2). Peut-être les enfants noirs qui fréquentent les écoles privées n’ont-ils pas le même groupe de référence...

Plus étonnant encore, la relation disparaît de nouveau quand on considère les écoles publiques fréquentées quasi-exclusivement par des noirs. Si l’on sépare l’échantillon en deux groupes, avec d’un côté les écoles les plus mixtes et, de l’autre, les écoles les moins mixtes, on observe que l’effet « Acting white » (la relation négative entre le niveau scolaire et la popularité des élèves noirs) est deux fois plus marqué dans le premier groupe que dans le second. Mieux, l’écart des taux de popularité des bons élèves (ceux qui obtiennent des moyennes supérieures à 3.5) est alors sept fois plus important !

Comment expliquer ce phénomène ?

Interprétation

Les anthropologues ont observé que les groupes sociaux cherchent à préserver leur identité, et cela d’autant plus vigoureusement que leur cohésion est plus menacée par des atteintes extérieures. En général, les individus les plus performants renforcent le pouvoir et la cohésion du groupe, aussi longtemps que leur loyauté n’est pas en cause. Mais pour peu que les meilleurs éléments soient tentés de faire défection, le groupe réagit.

Dans une société fondée sur l’idée de réussite individuelle, et où coexistent deux groupes à la réussite très inégale, le groupe le moins prospère risque de voir ses meilleurs éléments le quitter. Et ce risque est d’autant plus élevé que les contacts avec l’autre groupe sont fréquents.

Si le groupe ne réagit pas, ses meilleurs éléments vont progressivement cesser de s’identifier avec les intérêts du groupe, et il risque de perdre son identité. Pour essayer de renforcer son identité, le groupe va réagir en sanctionnant durement tous ceux qui chercheraient à se différencier. Ces sanctions seront d’autant plus dures et effectives que la cohésion du groupe est davantage menacée.

On peut déduire de ce modèle ces deux prédictions : une relation positive entre réussite scolaire et acceptation par le groupe de pairs (popularité) s’érode puis devient négative quand le groupe est caractérisé par un niveau de réussite inférieur aux standards de la société globale ; et cette érosion sera d’autant plus prononcée que le groupe a des contacts fréquents avec un groupe plus prospère.

Or, c’est exactement ce que l’on observe à partir des données de l’enquête.

Conclusion

W.E.B DuBois pensait que si l'on pouvait faire éclore et prospérer un nombre suffisant de talents parmi les enfants noirs, le problème noir se résoudrait de lui-même. Le Talented Tenth entraînerait vers le haut l'ensemble du peuple noir. Las ! Les minorités ethniques aux Etats-Unis ont beaucoup de mal à faire émerger le talented tenth auquel rêvait WEB Du Bois. Un constat aussi décourageant que le taux très élevé d’incarcération des jeunes noirs. En fait, les deux phénomènes sont peut-être liés. Aussi longtemps que l’identité des jeunes noirs sera tributaire de la culture du ghetto, le coût social de la défection restera élevé. Pour réduire ce coût, la société doit trouver le moyen d’intégrer les meilleurs éléments de la communauté noire dans un univers institutionnel et culturel où ils puissent échapper à la pression sociale du ghetto. Apparemment, l’école intégrée, ethniquement mixte, n’est pas la solution.


NB : Pour essayer de changer les choses, Fryer réalise actuellement à Harlem une expérience tout à fait révolutionnaire : les enfants qui obtiennent de bons résultats ou des résultats en progrès sont récompensés (de 10 $ par note dans les classes élémentaires, à 20 $ dans les classes de 4ème, 3ème). Il s'agit de démontrer que si, de cette façon ou d'une autre, les enfants noirs sont incités à progresser, leurs résultats scolaires convergeront rapidement vers ceux des enfants blancs (toutes choses égales par ailleurs). Dans ce domaine aussi, de petites incitations peuvent avoir de grandes conséquences...

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(*) Note : le dernier numéro d'Education Next (Hoover Institution) comprend aussi un dossier sur the american high school, et un entretien avec James Coleman avec un reprint de son article de 1959 dans la Harvard Review sur les adolescents américains.

1 commentaire:

deligne a dit…

Je ne suis pas vraiment surpris par les conclusions de cette enquête. Les sociologues fr. ont encore pas mal de chemin à faire et encore plus les éducateurs/enseignants. Pourtant ce ne sont pas des mécanismes sociaux difficiles à dévoiler et à comprendre.