7 sept. 2005

A quelque chose malheur est bon !


L'ouragan Katrina a secoué aussi certains commentateurs. Dans le Canard Enchaîné du 7 septembre, Jean Luc Porquet nous explique que, tous comptes faits, Katrina ne serait pas une si mauvaise affaire pour les ricains. Les catastrophes naturelles, croit-il savoir, c’est bon pour la croissance ! Sans blague...

Ça me va comme un ouragan

Au fond, la seule vraie question, c'est : le cyclone Katrina va-t-il ou non profiter à l'économie américaine ? Sera-t-il ou non bon pour la croissance des Etats-Unis ? Donc la nôtre ? Le suspense était total jusqu'à ce qu'un dénommé David Rosenberg, analyste chez Merrill Llynch, ait trouvé les mots pour nous rassurer : « Contrairement à une idée reçue, les ouragans ont, en général, un impact net positif sur le PIB » (Les Echos, 1/9). Ouf !

On l'oublie trop souvent en effet, ouragans et cyclones offrent cet avantage incomparable : une fois qu'ils ont tout détruit sur leur passage, il faut reconstruire. « Toutes les catastrophes en général, qu'elles soient naturelles ou provoquées par l'homme, constate l'économiste Jean Gadrey, font grimper le PIB. » Car le produit intérieur brut, ce chiffre qui est devenu le critère de performance de toutes les nations du monde, est un sacré numéro : tout lui profite. « Il ne tient pas compte des dégâts sociaux ou environnementaux, il ne déduit pas ce qu'on perd en route. Mais il comptabilise scrupuleusement les dépenses de réparation. » La tempête de 1999 et la marée noire de l'« Erika », par exemple, ont été très bonnes pour la croissance. Une pandémie de grippe aviaire le serait-elle ? « Sans aucun doute, dit Jean Gadrey. Seule une catastrophe qui diminuerait la capacité productive d'un pays aurait un impact négatif sur son PIB ».

Et c'est bien pour cela que l'ouragan Katrina a provoqué quelques suées. S'il avait seulement brisé les digues qui protégeaient la Nouvelle-Orléans, détruit la ville et noyé quelques milliers de pauvres, pas de problème. Mais il a endommagé des plates-formes pétrolières du golfe du Mexique, et ça c'est grave. Du coup, de globalement positif, le bilan s'annonce plutôt mitigé : « L'effet global du cyclone ne devrait être que légèrement bénéfique », constate à regret le quotidien économique Les Echos. Vivement un nouveau cyclone qui rebooste le PIB ! (...)

Las ! Le même jour, Associated Press rendait compte des prévisions du Congressional Budget Office : "Hurricane Katrina will reduce employment by 400,000 people in coming months while trimming economic growth by as much as a full percentage point in the second half of this year."

Par le passé, nous explique l’hebdomadaire The Economist, "les cyclones -- si dévastateurs soient-ils -- n'ont guère affecté la croissance. Avec Katrina pourtant, ce pourrait être différent." En mettant les choses au mieux, l'effet stimulant de l'ouragan sur l'activité sera largement annulé par un certain nombre de conséquences négatives. Dans le détail :

¤ La hausse des prix du pétrole réduira la consommation des ménages. Comme l'écrit The Economist : "The big unknown remains fuel costs and the risk that soaring prices for petrol, let alone physical supply shortages, will hit consumer spending hard."

¤ La facture des réparations sera particulièrement salée pour les finances publiques, i.e. pour les contribuables. C'est autant de revenu disponible et, partant, de consommation en moins. Le Congrès a d'ores et déjà donné son accord pour débloquer 62 milliards de $ ! Mais, selon William Hoagland le conseiller du leader républicain au Sénat, la note sera très supérieure à 100 milliards de $ (Msnbc). Dans ces conditions, il faudra sans doute renoncer aux 35 milliards de baisses d'impôts promises à partir de 2006...

¤ La facture sera lourde aussi pour les Cie d'assurances. "Le cyclone Katrina s'annonce comme la catastrophe naturelle la plus chère de l'histoire de l'assurance". Selon les dernières estimations, Katrina devrait coûter 40 à 60 milliards aux compagnies d'assurance (Le Monde du 14 septembre), soit très au-dessus des précédents records : le cyclone Andrew de 1992 (20 milliards de $) et les attentats contre le World Trade Center (32,4 milliards de $). Pour se renflouer, les Cie d'assurances n'auront d'autre choix que d'augmenter les primes prélevées sur leurs assurés.

¤ Enfin, une partie du coût des réparations devra être assumée par les victimes elles-mêmes...

Conclusion :

Soutenir que "les catastrophes font grimper le PIB", c'est ne voir qu'un côté du problème. Le taux d'épargne américain étant au plus bas, l'effort de reconstruction ne pourra être financé que par une réduction équivalente des dépenses de consommation finale. Tout bien pesé, et indépendamment de son impact sur la capacité productive, l'effet de Katrina sur la croissance sera, au mieux, nul.

NB: Ce sophisme alteréconomiste fut démasqué dès 1848 par Frédéric Bastiat dans l'apologue ci-après:

Avez-vous jamais été témoin de la fureur du bon bourgeois Jacques Bonhomme, quand son fils terrible est parvenu à casser un carreau de vitre ? Si vous avez assisté à ce spectacle, à coup sûr vous aurez aussi constaté que tous les assistants, fussent-ils trente, semblent s'être donné le mot pour offrir au propriétaire infortuné cette consolation... : « A quelque chose malheur est bon... Que deviendraient les vitriers, si l'on ne cassait jamais de vitres ? » Or, il y a dans cette formule de condoléance toute une théorie, qu'il est bon de surprendre flagrante delicto…
A supposer qu'il faille dépenser six francs pour réparer le dommage, si l'on veut dire que l'accident fait arriver six francs à l'industrie vitrière, qu'il encourage dans la mesure de six francs la susdite industrie, je l'accorde, ... on raisonne juste. Le vitrier va venir, il fera besogne, touchera six francs, se frottera les mains et bénira de son coeur l'enfant terrible. C'est ce qu'on voit. Mais si, par voie de déduction, on arrive à conclure... qu'il est bon qu'on casse les vitres, que cela fait circuler l'argent, qu'il en résulte un encouragement pour l'industrie en général, je suis obligé de m'écrier: halte-là ! Votre théorie s'arrête à ce qu'on voit, ne tient pas compte de ce qu'on ne voit pas.
On ne voit pas que, puisque notre bourgeois a dépensé six francs à une chose, il ne pourra plus les dépenser à une autre. On ne voit pas que s'il n'eût pas eu de vitre à remplacer, il eût remplacé, par exemple, ses souliers éculés ou mis un livre de plus dans sa bibliothèque. Bref, il aurait fait de ces six francs un emploi quelconque qu'il ne fera pas.
Faisons donc le compte de l'industrie en général. La vitre étant cassée, l'industrie vitrière est encouragée dans la mesure de six francs; c'est ce qu'on voit. Si la vitre n'eût pas été cassée, l'industrie cordonnière (ou toute autre) eût été encouragée dans la mesure de six francs; c'est ce qu'on ne voit pas. [L’un dans l’autre], on comprend qu'il n'y a aucun intérêt pour l'industrie en général à ce que des vitres se cassent ou ne se cassent pas.
Faisons maintenant le compte de Jacques Bonhomme. Dans la première hypothèse, celle de la vitre cassée, il dépense six francs, et a, ni plus ni moins que devant, la jouissance d'une vitre. Dans la seconde, celle où l'accident ne fût pas arrivé, il aurait dépensé six francs en chaussure et aurait eu tout à la fois la jouissance d'une paire de souliers et celle d'une vitre. Or, comme Jacques Bonhomme fait partie de la société, il faut conclure de là que, considérée dans son ensemble, et toute balance faite de ses niveaux et de ses jouissances, elle a perdu la valeur de la vitre cassée.

Ce qu'on voit, ce qu'on ne voit pas, 1848

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