"Give me a one-handed economist !", pestait le Président Hoover. "All my economists say 'on the one hand... on the other hand...'" Pour l'économiste, en effet, tout choix a un coût d'opportunité. Choisir ceci, c'est renoncer à cela. Aussi convient-il de peser soigneusement les coûts et les avantages des différentes options. D'un côté... d'un autre côté...
A partir de là, des responsables politiques différents, avec des systèmes de préférences différents, feront des choix différents. Mais quelle que soit l'option retenue, le gain attendu apparaît marginal et incertain quand on le rapporte au coût d'opportunité - le gain attendu de la meilleure option alternative. Aux "one-handed politicians", les économistes rappellent ainsi qu'en règle générale, l'espace des possibles n'est pas configuré en noir et blanc, mais en niveaux de gris.
On l'aura compris : la notion de coût d'opportunité n'invite pas à la révolution. Ce n'est pas une notion qui se prête aux grandes espérances (les lendemains qui chantent). Mais, en nous gardant des certitudes à bon marché, elle nous préserve aussi des grandes déceptions (les lendemains qui déchantent).
Bref, la prise en compte du coût d'opportunité est la condition de tout choix bien pensé et bien pesé. C'est le b.a.ba de toute démarche économiste. D'où la célèbre définition de Lionel Robbins, "l'économie étudie la manière dont les hommes s'y prennent pour arriver à leurs fins avec des moyens rares qui sont susceptibles d'usages multiples et rivaux".
Sources:
Paul Krugman, One-handed economist. Economist, nov. 2003 ;
Lionel Robbins : "Economics is the science which studies human behavior as a relationship between given ends and scarce means which have alternative uses." An Essay on the Nature and Significance of Economic Science, 1932
Le coût d'opportunité d'une activité est la valeur de la meilleure option à laquelle il faudrait renoncer pour exercer l'activité en question. Si l'on se fie aux chapitres introductifs de la plupart des grands manuels d'introduction à l'économie, cette notion est assez universellement considérée comme l'une des quatre ou cinq notions fondamentales en économie... Or, si l'on en croît une enquête de Laura Taylor et Paul Ferraro, la notion de coût d'opportunité est une notion très mal maîtrisée jusque par les enseignants d'économie. Les auteurs ont posé à deux cents économistes présents au dernier meeting de l'AEA la question suivante :
Cochez la bonne réponse à la question suivante: Vous venez de gagner un billet gratuit pour un concert d'Eric Clapton. Vous hésitez car Bob Dylan joue au même moment -- c'est votre meilleure alternative -- et le ticket d'entrée coûte $40. En temps normal, vous auriez été prêt à débourser $50 pour voir Dylan. Sur la base de ces informations, quel est pour vous le coût d'opportunité du choix d'Eric Clapton?
B. $10
C. $40
D. $50
- The Opportunity Cost of Economics Education (NYT du 2 sept.) :
- Ferraro, P.J. and L.O. Taylor : "Do Economists Recognize an Opportunity Cost When They See One? A Dismal Performance from the Dismal Science", dont une version paraîtra dans l'American Economic Review en 2006 (Papers & Proceedings de l'AEA) : http://epp.gsu.edu/pferraro/docs/FerraroTaylorDismalPerformance.pdf
Dans The literary book of Economics, Michael Watts propose d‘illustrer la notion de coût d’opportunité avec ce poème célèbre :
The Road Not Taken
by Robert Frost (1916)
Two roads diverged in a yellow wood,
And sorry I could not travel both
And be one traveler, long I stood
And looked down one as far as I could
To where it bent in the undergrowth;
Then took the other, as just as fair,
And having perhaps the better claim,
Because it was grassy and wanted wear;
Though as for that the passing there
Had worn them really about the same,
And both that morning equally lay
In leaves no step had trodden black.
Oh, I kept the first for another day!
Yet knowing how way leads on to way,
I doubted if I should ever come back.
I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.
2 commentaires:
Une église.
Une jolie place.
Une boulangerie.
Dans la boulangerie,
La boulangère,
Une petite fille,
Sa grand-mère,
Et déjà une dizaine d'autres.
"Dépêche-toi, ma chérie", dit la grand-mère.
"Dépêche-toi", pensent les autres.
Polis (pour l'instant), ils ne disent rien.
"Dépêche-toi. Tu prends un gâteau, celui que tu veux. Allez, choisis."
(C'est la grand-mère.)
"Dépêche-toi", continuent à penser les autres.
Et puis soudain l'un quitte sa réserve.
Il n'est pas moins poli que les autres mais plus économiste.
"Ecoute, petite. Ta grand-mère t'a dit que tu prends un gâteau. Quel que gâteau que tu prennes, tu ne peux pas en prendre un autre.
Cela veut dire que quel que soit ton choix, le coût d'opportunité de ton gâteau est de un. Alors tu en prend un au hasard."
La petite se tourne lentement :
"Monsieur, tu comptes pas comme moi. Toi tu comptes en gâteau. Alors ça fait toujours un. Mais moi je compte en "combien ça me délisse". Et là, j'ai pas encore fini de comparer."
L'exemple est mignon. En fait, la petite fille ferait un excellent prof d'économie. Supposons qu'il y ait dans le lot un gâteau qu'elle serait prête à payer 4 euros ==> le coût d'opportunité de tout autre gâteau pris au hasard = 4 euros (son utilité). Si le hasard lui fait choisir précipitamment un gâteau pour lequel elle serait prête à payer seulement 3 euros, elle a d'une certaine façon gagné 3 euros (valeur pour elle du gâteau offert par grand mère), mais elle aura aussi perdu 1 euro puisqu'avec un peu plus de temps elle aurait sans doute découvert le meilleur gâteau.
Si elle devait payer elle-même ces gâteaux 2 euros, son gain serait dans le premier cas de 1 euro (3 - 2). A comparer avec 2 euros (4 - 2) si elle avait pu prendre le temps de découvrir le meilleur... Donc la petite fille a raison de prendre son temps, aussi longtemps que son temps lui coûte moins de 1 euro...
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