Pour expliquer l'inflation sur le marché immobilier, la plupart des analystes se focalisent sur la demande. Mais l'envolée des prix traduit aussi les insuffisances de l'offre. Par conséquent, si l'on veut comprendre ce phénomène, il faut se poser les deux questions suivantes : pourquoi la demande augmente-t-elle ? pourquoi l'offre ne parvient-elle pas à suivre ?
1. Les causes de l'augmentation de la demande
Il faut ici faire la part des facteurs conjoncturels -- le faible niveau des taux d'intérêt et la spéculation immobilière -- et des facteurs structurels. Parmi ces derniers, on peut distinguer les facteurs démographiques -- comme le vieillissement, la fragmentation des familles -- et les transformations de la structure sociale -- not. la montée des cadres dans la population active. Je ne développerai que ce dernier point, les facteurs conjoncturels et démographiques étant bien étudiés, par exemple dans les deux articles ci-après :
- Le vieillissement de la population et l'éclatement de la famille ont un impact sur le marché immobilier :
1. Les causes de l'augmentation de la demande
Il faut ici faire la part des facteurs conjoncturels -- le faible niveau des taux d'intérêt et la spéculation immobilière -- et des facteurs structurels. Parmi ces derniers, on peut distinguer les facteurs démographiques -- comme le vieillissement, la fragmentation des familles -- et les transformations de la structure sociale -- not. la montée des cadres dans la population active. Je ne développerai que ce dernier point, les facteurs conjoncturels et démographiques étant bien étudiés, par exemple dans les deux articles ci-après :
- Le vieillissement de la population et l'éclatement de la famille ont un impact sur le marché immobilier :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-397167,0.html
- Les banques centrales jugent que la flambée du crédit et des prix de l'immobilier n'est pas soutenable:
- Les banques centrales jugent que la flambée du crédit et des prix de l'immobilier n'est pas soutenable:
Compte tenu de l’élévation générale du niveau d’aspiration et du poids croissant des cadres dans la population active, la concurrence sociale pour résider dans certains lieux s'est intensifiée. C'est particulièrement vrai à Paris, où le nombre de cadres a augmenté de 12 % d’un recensement à l’autre, tandis que le nombre d’ouvriers baissait de 24 % [Source: Insee, Recensement, 1999]. De façon générale, les classes populaires et, désormais, les classes moyennes sont de plus en plus repoussées vers la périphérie des grandes villes :
Les cadres s'accaparent désormais des pans entiers de l'espace urbain, notamment les centres-villes, les beaux quartiers et les zones les plus proches des principaux équipements. Cette réalité n'est sans doute nulle part aussi saisissante qu'à Paris et dans la région parisienne, là où les classes supérieures étaient déjà plus particulièrement nombreuses il y a dix ou vingt ans. (…) Etudiant l'évolution dans le temps d'un échantillon de 80 quartiers parisiens, Martine Berger révèle ainsi que la proportion de zones où l'on compte plus de deux fois plus de cadres que de professions intermédiaires a cru de 25 % à 63 % entre 1982 et 1999. Inversement, la proportion de quartiers parisiens où l'on compte à peu près autant de professions intermédiaires que de cadres a chuté de 25 % à moins de 10 %. Enjeu traditionnel d'une concurrence sociale très rude, les quartiers de Paris et certaines des communes de sa banlieue sont le lieu d’une surreprésentation de plus en plus écrasante des cadres et des professions intellectuelles supérieures. [Eric Maurin, Le ghetto français, Seuil 2004]
Les cadres s'accaparent désormais des pans entiers de l'espace urbain, notamment les centres-villes, les beaux quartiers et les zones les plus proches des principaux équipements. Cette réalité n'est sans doute nulle part aussi saisissante qu'à Paris et dans la région parisienne, là où les classes supérieures étaient déjà plus particulièrement nombreuses il y a dix ou vingt ans. (…) Etudiant l'évolution dans le temps d'un échantillon de 80 quartiers parisiens, Martine Berger révèle ainsi que la proportion de zones où l'on compte plus de deux fois plus de cadres que de professions intermédiaires a cru de 25 % à 63 % entre 1982 et 1999. Inversement, la proportion de quartiers parisiens où l'on compte à peu près autant de professions intermédiaires que de cadres a chuté de 25 % à moins de 10 %. Enjeu traditionnel d'une concurrence sociale très rude, les quartiers de Paris et certaines des communes de sa banlieue sont le lieu d’une surreprésentation de plus en plus écrasante des cadres et des professions intellectuelles supérieures. [Eric Maurin, Le ghetto français, Seuil 2004]
NB: Pour une carte de la ségrégation résidentielle en Ile de France (recensement 1990), cf. p. 178 du rapport du Cae, Ségrégation urbaine et intégration sociale (2004) : http://www.cae.gouv.fr ; pour une carte de la ségrégation résidentielle par canton sur l'ensemble de la France, cf. cet Insee Première :
http://www.insee.fr/fr/ffc/Ipweb/2003/ip900/page10.htm
2. Les causes de l'insuffisance de l’offre
Comment expliquer que l'offre n'ait pu partout répondre à la demande ? La réponse tient à la nature même du bien demandé...
On doit à Sir Roy Harrod l'utile distinction entre "richesse oligarchique" et "richesse démocratique". Celle-ci comprend tous les biens et services dont la production peut augmenter indéfiniment sans perdre en qualité -- grâce au progrès incessant de la technologie, du commerce et de l’organisation du travail. Celle-là comprend ces biens qui, par la nature des choses, ne peuvent devenir universels. Pour parler comme Wicksteed, chacun peut y prétendre mais tous ne peuvent y accéder :
2. Les causes de l'insuffisance de l’offre
Comment expliquer que l'offre n'ait pu partout répondre à la demande ? La réponse tient à la nature même du bien demandé...
On doit à Sir Roy Harrod l'utile distinction entre "richesse oligarchique" et "richesse démocratique". Celle-ci comprend tous les biens et services dont la production peut augmenter indéfiniment sans perdre en qualité -- grâce au progrès incessant de la technologie, du commerce et de l’organisation du travail. Celle-là comprend ces biens qui, par la nature des choses, ne peuvent devenir universels. Pour parler comme Wicksteed, chacun peut y prétendre mais tous ne peuvent y accéder :
Napoléon affirmait que chaque soldat français portait dans sa giberne un bâton de maréchal. Mais il devait bien savoir que, quand bien même il serait possible à quelque soldat de s’élever jusqu’à la position de maréchal, il est "impossible" [ce mot qui n’est pas français] que chaque soldat puisse en faire autant. Car l’existence d’un maréchal implique l’existence d’un certain nombre de soldats qui ne le soient pas. De même, dans une société industrielle avancée, il est possible à certains de devenir riche ; mais il n’est pas possible à chacun de le devenir ; (…) dans la conception de la richesse qui prévaut dans la classe moyenne, il y a en effet la disposition de serviteurs. (...) Or, de même que nous ne pouvons tous devenir maréchal, nous ne pouvons tous avoir des serviteurs. [Philip H. Wicksteed, The Common Sense of Political Economy, III.1.47, 1910 (trad. personnelle)]
Dans les termes de Fred Hirsh, la richesse oligarchique regroupe les "biens positionnels". Une consommation élargie de ces biens n’est pas possible, compte tenu de leur rareté, ou pas soutenable, compte tenu de la déperdition de qualité qui s’ensuivrait inéluctablement. Là se situent, nous dit Fred Hirsch, les véritables limites de la croissance : des limites non pas physiques, mais sociales [Social limits to growth, Harvard UP 1976].
Le logement constitue, dans une large mesure, un « bien positionnel ». Nous aimerions tous disposer d’un bel appartement à Paris, ou d’une villa au bord de la mer. Mais seule une petite minorité d’entre nous pourra réaliser ce rêve. D’où la concurrence sociale pour résider à Paris, acquérir une villa en bord de mer, ou simplement éviter le voisinage des classes populaires.
Dans cette "lutte des places", le revenu relatif importe plus que le revenu absolu. Comme l’écrit Robert Frank : " Le revenu médian d’une communauté de 100 familles peut être de dix mille ou de dix millions d’euros : s’il n’y a que dix emplacements avec vue, seuls 10 % des familles pourront jouir d’une maison avec vue." [Luxury Fever, Free Press 1999] C'est ce qui explique qu'un professeur de lycée n’ait plus aujourd’hui les moyens de vivre à Paris. Depuis les années 50, le revenu réel des professeurs a augmenté mais leur revenu relatif s'est effondré : ils ne peuvent plus rivaliser avec les autres cadres supérieurs et sont impitoyablement repoussés vers la périphérie des grandes villes.
Pourtant, il n'y a pas de limites physiques à la croissance du parc de logements. Même à Paris, il suffirait d'autoriser la construction de gratte-ciels pour être en mesure d'héberger une population deux ou trois fois supérieure. C'est ici que le problème devient politique.
Dans les termes de Fred Hirsh, la richesse oligarchique regroupe les "biens positionnels". Une consommation élargie de ces biens n’est pas possible, compte tenu de leur rareté, ou pas soutenable, compte tenu de la déperdition de qualité qui s’ensuivrait inéluctablement. Là se situent, nous dit Fred Hirsch, les véritables limites de la croissance : des limites non pas physiques, mais sociales [Social limits to growth, Harvard UP 1976].
Le logement constitue, dans une large mesure, un « bien positionnel ». Nous aimerions tous disposer d’un bel appartement à Paris, ou d’une villa au bord de la mer. Mais seule une petite minorité d’entre nous pourra réaliser ce rêve. D’où la concurrence sociale pour résider à Paris, acquérir une villa en bord de mer, ou simplement éviter le voisinage des classes populaires.
Dans cette "lutte des places", le revenu relatif importe plus que le revenu absolu. Comme l’écrit Robert Frank : " Le revenu médian d’une communauté de 100 familles peut être de dix mille ou de dix millions d’euros : s’il n’y a que dix emplacements avec vue, seuls 10 % des familles pourront jouir d’une maison avec vue." [Luxury Fever, Free Press 1999] C'est ce qui explique qu'un professeur de lycée n’ait plus aujourd’hui les moyens de vivre à Paris. Depuis les années 50, le revenu réel des professeurs a augmenté mais leur revenu relatif s'est effondré : ils ne peuvent plus rivaliser avec les autres cadres supérieurs et sont impitoyablement repoussés vers la périphérie des grandes villes.
Pourtant, il n'y a pas de limites physiques à la croissance du parc de logements. Même à Paris, il suffirait d'autoriser la construction de gratte-ciels pour être en mesure d'héberger une population deux ou trois fois supérieure. C'est ici que le problème devient politique.
De façon bien compréhensible, les actuels résidents tiennent à préserver leur cadre de vie. Aussi les édiles locaux mobilisent-ils l'arsenal réglementaire pour restreindre l’accès aux zones concernées (en gelant le plan d’occupation des sols, en limitant la hauteur des immeubles, en classant certains sites, etc.). Par suite, les prix des logements s'envolent dans les zones réglementées, conférant aux heureux propriétaires une appréciable rente de situation.
Selon une étude récente, ce type de réglementation explique en grande partie pourquoi les prix des logements dans certains quartiers et villes américaines ont augmenté plus vite qu'ailleurs. En 1960, l’écart de prix moyen entre les 10 % des logements les plus chers et les 10 % les moins chers était de 60 %. En 2000, il était de 200 % ! Les auteurs y voient l’effet des réglementations locales (zoning laws) édictées sous la pression des résidents, en particulier dans les villes les plus attractives. La rente liée à la réglementation représenterait désormais 50 % du prix moyen d’un logement à Manhattan, et plus de 40 % dans 27 des villes étudiées.
Source: The Economist, 10 février 2005, CR d’une étude d’Edward Glaeser et al. à paraître dans l’American Econ. Rev.
Conclusion
Il reste que, même s’il leur faut dépenser de plus en plus pour se loger, les français sont objectivement de mieux en mieux logés. Entre 1978 et 2002, la surface moyenne des logements occupés par les ménages a augmenté de 17 % alors que le nombre de personnes par logement diminuait de 15 %. Il en va de même aux Etats-Unis où, depuis 1973, la surface médiane des habitations a augmenté de 40 % alors même que la taille moyenne des ménages diminuait de 20 % !
Sources: Insee, enquêtes sur le logement ; Robert J. Samuelson, Pressure of the American Dream, Washington Post, July 26, 2004.
Selon une étude récente, ce type de réglementation explique en grande partie pourquoi les prix des logements dans certains quartiers et villes américaines ont augmenté plus vite qu'ailleurs. En 1960, l’écart de prix moyen entre les 10 % des logements les plus chers et les 10 % les moins chers était de 60 %. En 2000, il était de 200 % ! Les auteurs y voient l’effet des réglementations locales (zoning laws) édictées sous la pression des résidents, en particulier dans les villes les plus attractives. La rente liée à la réglementation représenterait désormais 50 % du prix moyen d’un logement à Manhattan, et plus de 40 % dans 27 des villes étudiées.
Source: The Economist, 10 février 2005, CR d’une étude d’Edward Glaeser et al. à paraître dans l’American Econ. Rev.
Conclusion
Il reste que, même s’il leur faut dépenser de plus en plus pour se loger, les français sont objectivement de mieux en mieux logés. Entre 1978 et 2002, la surface moyenne des logements occupés par les ménages a augmenté de 17 % alors que le nombre de personnes par logement diminuait de 15 %. Il en va de même aux Etats-Unis où, depuis 1973, la surface médiane des habitations a augmenté de 40 % alors même que la taille moyenne des ménages diminuait de 20 % !
Sources: Insee, enquêtes sur le logement ; Robert J. Samuelson, Pressure of the American Dream, Washington Post, July 26, 2004.
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