25 août 2005

La vérité sur l'environnement

Un article de Bjorn Lomborg,
The Economist, 2 août 2001 (traduit par moi)
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L'écologie et l'économie devraient pousser dans la même direction. Après tout, le préfixe "eco", qui signifie "maison" en grec, se trouve dans les deux mots, et toutes deux disent n'avoir d'autre but que le bien-être de l'humanité. Pourtant, l'une et l'autre sont souvent à couteaux tirés. Pour les économistes, le monde semble aller de mieux en mieux. Pour la plupart des écologistes, il paraît aller de mal en pis.

Ces derniers, conduits par des vétérans comme Paul Ehrlich de Stanford, et Lester Brown du Worldwatch Institute, ont développé toute une "litanie" autour de quatre grandes peurs environnementales :

• les ressources naturelles s'épuisent ;
• la population augmente sans cesse, et plus vite que les subsistances, en sorte que l'humanité est de plus en plus mal nourrie ;
• un nombre croissant d'espèces sont en voie d'extinction, les forêts disparaissent et les réserves de poissons s'effondrent ;
• l'air et l'eau deviennent de plus en plus pollués.

C'est ainsi que l'activité humaine profane la terre, et que l'humanité court à sa perte.
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L'ennui, c'est que les faits démentent la litanie. En premier lieu, depuis que le Club de Rome publia en 1972 son rapport sur "les limites de la croissance", l'énergie et les autres ressources naturelles sont devenues plus abondantes, et non moins. En second lieu, le monde produit aujourd'hui plus de nourriture par habitant qu'à aucun autre moment dans l'histoire de l'humanité. De moins en moins de gens connaissent la faim. En troisième lieu, même s'il est vrai que des espèces disparaissent, ce devrait être le cas de 0,7 % d'entre elles seulement dans les 50 prochaines années, au lieu de 25 à 50 %, comme on le dit souvent. Enfin, il apparaît à l'analyse que la plupart des formes de pollution environnementales ou bien ont été très exagérées, ou bien constituent un mal transitoire - associé aux premières phases de l’industrialisation et qu'il importe donc de traiter non pas en réduisant la croissance économique, mais au contraire en l'accélérant. Une forme de pollution - l'émission de gaz à effet de serre, cause du réchauffement climatique - constitue certes un phénomène de long terme, mais son impact total n'est pas tel qu'il faille y voir une menace pour l'avenir de l'humanité. Le danger résiderait plutôt dans l'adoption d'une réponse inappropriée.

Est-il vrai que les choses vont de mal en pis ?

Prenons ces quatre points un à un.

Premièrement, l'épuisement des ressources naturelles. Les premiers mouvements écologistes craignaient que les ressources minérales, dont dépend l’industrie moderne, viennent bientôt à manquer. De fait, il y a bien une limite à la quantité de combustibles fossiles et de métaux qu'on peut extraire du sous-sol : après tout, la terre a une masse finie. Mais cette limite est beaucoup plus éloignée que ne croyaient les écologistes.

Pour découvrir de nouveaux gisements, il faut engager de l'argent. C'est en cela que réside la principale limite de l'offre de ressources naturelles, et non dans leur rareté au sein de la nature. Toutefois, les réserves connues de combustibles fossiles, et de la plupart des métaux, sont aujourd'hui plus importantes qu'à l'époque de la publication des "limites de la croissance". Par exemple, les réserves connues de pétrole susceptible d'être extrait à des prix raisonnables sont suffisantes pour alimenter l'économie mondiale pendant 150 ans (aux taux de consommation actuel). Si on ajoute que, depuis trois décennies, le prix de revient de l'énergie solaire diminue de moitié tous les dix ans, et qu'il devrait continuer à baisser dans l'avenir, la pénurie de ressources énergétiques ne constitue pas une menace sérieuse pour l'économie ou l'environnement.

Il en va de même des ressources non combustibles. Ciment, aluminium, fer, cuivre, or, azote et zinc représentent plus de 75 % des dépenses totales en matières premières. Malgré l'augmentation de la consommation de ces produits, une multiplication par deux à dix selon les cas en 50 ans, les réserves connues représentent là encore un nombre croissant d'années de production. De fait, l'évolution des prix reflète cette abondance croissante : l'indice des prix des matières premières de The Economist a baissé de 80 % en termes réels depuis 1845.

Autres balivernes, l'explosion démographique. En 1968, le docteur Ehrlich publiait un best-seller intitulé "The Population Bomb", où il prédisait que "la bataille pour nourrir l'humanité sera perdue. Dans les années 70, le monde fera l'expérience de famines tragiques - des centaines de millions de personnes mourront de faim."

Cela n'est pas arrivé. A la place, selon la FAO, la production agricole par habitant dans les pays en développement s'est accrue de 52 % depuis 1961. La ration calorique des pays pauvres est passée de 1 932 calories par personne en 1961, à peine assez pour survivre, à 2 650 calories en 1998 ; elle devrait atteindre 3 020 en 2030. De même, la proportion de personne souffrant de malnutrition dans les pays en développement est tombée de 45 % en 1949 à 18 % aujourd'hui ; on prévoit qu'elle sera de 12 % en 2010 et tombera à 6 % en 2030. En d'autres termes, la nourriture n'est pas devenue plus rare, mais s'est faite au contraire de plus en plus abondante. Et cela se traduit dans les prix. Depuis 1800, les prix alimentaires ont baissé de plus de 90 % en termes réels ; en 2000, selon la Banque Mondiale, ils avaient atteint leur plus bas niveau historique.

La prédiction du Dr Ehrlich fait écho à celle, faite 170 ans plus tôt, par Thomas R. Malthus. Malthus soutenait que, sans contrôle, la population humaine augmentait de façon exponentielle, alors que la production alimentaire ne pouvait augmenter que de façon linéaire -- par la mise en culture de terres supplémentaires. Il avait tort. La croissance de la population fut limitée par un frein interne insoupçonné : au fur et à mesure que les gens deviennent plus riche et mieux portants, ils font moins d'enfants. De fait, le taux de croissance de la population mondiale atteint son plafond, 2 % par an, au début des années 60. Depuis, il ne cesse de diminuer. Le taux d'accroissement démographique est aujourd'hui de 1,26 %, et l'on prévoit qu'il devrait tomber à 0,46 % en 2050. Les Nations Unies estiment que la croissance de la population devrait se stabiliser vers 2100 autour de 11 milliards d'habitants.

L'autre erreur de Malthus fut de ne pas anticiper les développements technologiques de l'agriculture. L'application du génie des hommes à l'agriculture permit d'obtenir toujours plus de nourriture par hectare cultivé, si bien que la croissance de la production alimentaire fut plus rapide que la croissance démographique. Incidemment, cela réduisit aussi la nécessité de mettre toujours plus de terres en culture, et par là contribua à limiter les atteintes à la biodiversité.

Troisièmement, le risque de perte en biodiversité est réel, mais exagéré. La plupart des estimations sont fondées sur un modèle simple (une île) liant une perte en habitat à une perte en biodiversité. Empiriquement, 90 % de forêts en moins signifie 50 % d'espèces en moins. Et comme les forêts tropicales semblent disparaître à un rythme alarmant, nombreux sont ceux qui estiment que le nombre d'espèces devrait diminuer de moitié en l'espace d'une génération ou deux.

Néanmoins, les données ne corroborent pas ces prédictions. Dans l'Est des Etats-Unis, la surface forestière ne s'est réduite que de 1 à 2 % en deux siècles, et il en est résulté la disparition d'une espèce d'oiseau. A Porto Rico, la forêt primaire a perdu 99 % de sa superficie en 400 ans, mais seules sept espèces d'oiseaux sur les soixante recensées ont disparu. De même, il ne reste plus que 12 % de la forêt atlantique du Brésil, après les déboisements du 19ème siècle. Si l'on applique la règle du modèle insulaire, la moitié des espèces auraient dû disparaître. Mais quand la World Conservation Union et la Brazilian Society of Zoology ont recensé les espèces restantes, elles ont dû se rendre à l'évidence : aucune des 291 espèces d'animaux connus dans cet écosystème forestier n'avait disparu. Les espèces semblent donc plus résistantes qu'on ne pensait. Enfin, les forêts tropicales ne disparaissent pas au rythme de 2 à 4 % par an, comme nombre d'écologistes l'avancent : les derniers chiffres de l'ONU indiquent un aux de 0,5 %.

Quatrièmement, la pollution est également exagérée. De nombreuses analyses montrent que la pollution de l'air diminue au fur et à mesure que la société devient suffisamment riche pour se préoccuper sérieusement de son environnement. A Londres, la ville pour laquelle on dispose des meilleures données, la pollution de l'air atteint son maximum autour de 1890. Aujourd'hui, l'air est plus pur qu'il n'a jamais été depuis 1585. Il y a de bonnes raisons de penser qu'il en va de même pour l'ensemble des pays développés. Quant aux pays en développement, la pollution de l'air augmente certes, mais de la même façon qu'elle augmentait dans les pays développés dans les premières phases de leur industrialisation. Quand ces pays seront devenus assez riches, ils commenceront à leur tour à réduire la pollution de l'air.

Tout cela contredit la litanie. Et pourtant les enquêtes d'opinion suggèrent que la plupart des gens, dans le monde riche au moins, sont persuadés que la qualité de l'environnement se dégrade. Quatre facteurs expliquent cette disjonction entre la perception et la réalité.

La tendance de nos sociétés à ne voir que le mauvais côté de la vie

Il y a d'abord le problème de la compétition entre les chercheurs pour la répartition des budgets de la recherche scientifique. Les fonds sont affectés prioritairement aux départements concernés par les problèmes que les autorités jugent les plus sérieux. C'est une saine politique, mais cela peut avoir l'effet pervers d'inciter les départements concernés à exagérer quelque peu la gravité de ces problèmes.

En second lieu, les organisations écologistes cherchent à capter l'attention des médias, pour se faire connaître et attirer des fonds. Ce faisant, elles ont tendance à en rajouter quelque peu. C'est ainsi qu'en 1997, le Worldwide Fund for Nature diffusa un dossier de presse intitulé "les deux tiers des forêts du monde disparues à jamais". La vérité était plus proche de 20 %.

Bien que ces organisations soient composés d'individus désintéressés, elles n'en partagent pas moins les autres caractéristiques des groupes de pression traditionnels. Ce ne serait pas grave si le public considérait les organisations écologistes avec le même degré de scepticisme que les autres lobbies, mais ce n'est pas le cas. Lorsqu'une organisation commerciale plaide pour réduire les contrôles antipollution, elle est immédiatement perçue comme intéressée. En revanche, une organisation verte s'opposant à la réduction de ces contrôles passe pour altruiste, quand bien même une analyse dépassionnée de ces contrôles montrerait qu'ils font plus de mal que de bien.

Une troisième source de confusion tient à l’attitude des médias. Les gens sont plus curieux des mauvaises nouvelles que des bonnes. Les journaux, les radios et les télés sont là pour offrir au public ce qu'il désire. Il peut en résulter des distorsions significatives dans la perception des problèmes. Par exemple, quand El Niño visita l'Amérique en 1997 et 1998, il fut accusé d'avoir naufragé l'industrie touristique, causé des allergies, fait fondre la neige dans les stations de ski et tué 22 personnes lors d'une tempête de neige dans l'Ohio.

Une vue plus mesurée était cependant possible, comme l'atteste un article récent du Bulletin of the American Meteorological Society. Balançant les coûts et les bénéfices d'El Niño, les auteurs chiffrent à 4 milliards de $ les dommages qui lui sont directement imputables, et à 19 milliards de $ les gains de l'économie américaine : les hivers plus doux ont permis de sauver 850 vies, de réduire les factures de chauffage, la gravité des inondations chaque printemps avec la fonte des neiges, et la fréquence des ouragans sur les côtes Atlantiques (c'est ainsi qu'en 1998, les Etats-Unis n'ont connu aucun ouragan, faisant ainsi l'économie de gros dégâts). Or, à la différence des coûts, ces bénéfices n'ont pas été portés à la connaissance du public.

Le quatrième facteur tient à la mauvaise perception des risques par les individus. Les gens se figurent que l'accumulation des déchets finira par encombrer l'espace, que bientôt on ne saura qu'en faire. En réalité, même si la quantité de déchets par habitant devait continuer de croître au rythme actuel, et même si la population américaine devait doubler d'ici 2100, le montant total des déchets produit par les Etats-Unis pendant tout le 21ème siècle représentera une surface de 28 km de côté : 1 / 12 000ème de la superficie du pays !

L'ignorance peut fausser le jugement. Et la peur inspirée par des problèmes imaginaires touchant à l'environnement risque de divertir des ressources rares et de l'énergie politique de la lutte contre des problèmes plus sérieux. Ainsi, il existe différents moyens susceptibles de sauver ou de prolonger des vies humaines, dont on peut comparer le coût (en $) et l'efficacité (en années de vie). Si l'on prend l'exemple des Etats-Unis, certaines politiques environnementales, comme l'essence sans plomb et la réduction des émissions de dioxyde de souffre, s'avèrent vraiment efficaces (cost-effective). Mais elles sont généralement déjà à l’oeuvre. Pour le reste, la plupart des mesures environnementales sont moins efficaces que des interventions visant à améliorer la sécurité (par exemple, la généralisation de l'air-bag dans les voitures), ou celles relatives à la vaccination et à la prévention médicale. Certaines sont même absurdement coûteuses.

Une mauvaise perception des risques peut conduire à des erreurs extrêmement coûteuses. Les émissions de dioxyde de carbone contribuent au réchauffement climatique. Les meilleures estimations dont nous disposons envisagent une élévation moyenne des températures de 2 à 3 degrés d'ici la fin du siècle. Cela causera de graves problèmes, presque exclusivement dans les pays en développement : on peut en estimer le coût à 5 000 milliards de $. Chercher à limiter le réchauffement de la planète semble donc une bonne idée. Encore faut-il s'assurer que le remède n'est pas pire que le mal.

Las ! Les analyses économiques montrent clairement qu'il serait beaucoup plus coûteux de réduire significativement les émissions de dioxyde de carbone que de payer le prix de l'adaptation à des températures plus élevées. Par exemple, si le protocole de Kyoto était parfaitement appliqué, ses effets sur le climat seraient minuscules : selon le modèle élaboré par Tom Wigley, l'un des principaux contributeurs du groupe d'expert des Nations Unis sur le changement climatique, l'élévation moyenne des températures d'ici 2100 ressortirait à 1,9 degrés au lieu de 2,1 ; autrement dit, l'augmentation des températures prévue pour 2094 interviendrait en l'an 2100.

Ainsi, le protocole de Kyoto ne permet pas d'éviter le réchauffement climatique, tout au plus permettrait-il au monde de gagner 6 années de répit. D'un autre côté, le coût de Kyoto, pour seuls les Etats-Unis, serait beaucoup plus élevé que ce que coûterait la résolution du problème sanitaire le plus urgent qui se pose aux hommes aujourd'hui : l'accès universel à l'eau salubre. Deux millions de personnes meurent chaque année, et cinq cent millions de personnes tombent sérieusement malades pour avoir bu une eau infectée.

Encore est-ce là le meilleur scénario. Pour peu que le traité soit mal appliqué, son coût pourrait être multiplié par cinq : 1 000 milliards de $, à comparer aux 50 milliards de $ par an de l'aide publique au développement.

Il est donc essentiel de substituer les faits à la litanie si l'on veut prendre les meilleures décisions pour l'avenir. Bien sûr, une gestion rationnelle de l'environnement et des investissements écologiques restent de bonnes idées, mais le rapport coût-bénéfice de ces investissements devrait être comparé à celui d'autres investissements dans les autres domaines qui affectent le bien être des hommes. L’excès d’optimisme peut s’avérer coûteux, mais l’excès de pessimisme peut l'être plus encore.

1 commentaire:

Erasmus Tharnaby a dit…

excellent article.
Bravo !
Sur mon blog, j'insiste aussi sur les débuts de l'écologie.
http://mistergreengenes.over-blog.com