Question soumise par une collègue sur InterEs: "Comment expliquer que la mort du Pape ait eu un tel écho, d'un point de vue quantitatif mais surtout qualitatif (intensité des émotions ressenties) ?"
Et voici la réponse que je lui fis:
"C'est le destin de l'homme qui a séduit jusqu'au bout l'opinion", écrit Henri Tincq (Les obsèques du "curé du monde"). Mais pourquoi le destin de cet homme a-t-il si profondément marqué les consciences chrétiennes (et bien d'autres sans doute) ? Pour essayer de comprendre, je me suis tourné vers l'oeuvre de René Girard.
L’homme, observe Girard, ne peut tirer ses désirs de son propre fond ; il les emprunte à Autrui. Chacun imite le désir d'un Autre qui en imite un Autre qui en imite un Autre... qui tous s’efforcent de tenir leurs imitateurs en respect... De cette rivalité incessante naît une indifférenciation croissante, avec pour effet d'exacerber encore la rivalité (tant il est vrai que l’envie croît avec la similitude). Le précipité social de cette contagion mimétique, c’est la violence de tous contre tous, dont le cycle s’achève avec la convergence de tous contre un : le bouc émissaire.
Il suit de là que la communauté ne pourra contenir la violence que si elle parvient à contenir l'envie. C'est précisément l'objet du 10ème commandement : Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, rien de ce qui appartient à ton prochain (Ex 20, 17). Mais comment pourrait-on résister à l'envie du prochain si l'on ne peut échapper au mimétisme du désir ?
En réalité, nous dit Girard, l'homme est toujours libre de choisir quel modèle il veut imiter. C'est même en cela que réside sa liberté. Il peut choisir entre l'imitation de Satan (le père de l'envie, le patron des envieux) et l'imitation de Jésus-Christ. Pour chasser l'envie du coeur des hommes, il suffirait que la bonne imitation chasse la mauvaise. La bonne imitation, c’est-à-dire l’imitation de Jésus-Christ, ou, plus communément, l’imitation du prochain qui imite le prochain qui imite Jésus-Christ :
Souvenez-vous de ce que Paul dit aux Corinthiens : « Je vous en prie, montrez-vous mes imitateurs» (1 Co 4,16). Il ne demande pas cela dans un esprit d'orgueil individuel. Il se donne en exemple parce qu'il imite lui-même Jésus qui, à son tour, imite le Père. Il fait simplement partie d'une chaîne infinie de « bonne imitation », d'imitation sans rivalité, que le christianisme cherche à constituer. Les « saints » sont les maillons de cette chaîne. (René Girard, Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, 2004)
A l'image de Paul, Jean-Paul II avait conscience de faire partie de cette "chaine infinie de bonne imitation". C'est pourquoi il fut un pape si "médiatique"... Avec le succès d'audience que l'on sait... Par millions, les chrétiens reconnurent en lui leur bon pasteur, celui qui montre le chemin.
Le cardinal Ratzinger ne s'y est pas trompé, qui ouvre ainsi son homélie : « Suis-moi », dit le Seigneur ressuscité à Pierre; telle est sa dernière parole à ce disciple, choisi pour paître ses brebis. « Suis-moi. » Cette parole lapidaire du Christ peut être considérée comme la clé pour comprendre le message qui vient de la vie de notre regretté et bien-aimé pape Jean-Paul II... (Homélie du cardinal Ratzinger)
Lors de sa dernière apparition publique (pour la bénédiction urbi et orbi), les mots ont manqué à Jean-Paul II, et cependant il a été parfaitement entendu. Les millions de pèlerins qui se sont précipités à Rome ont saisi son message : "Suivez-moi"...
L'imitation de Jean-Paul II nous révèle que, plus que de croyances, les hommes des sociétés sécularisées ont toujours besoin de modèles pour s'orienter dans un monde complexe.
"C'est le destin de l'homme qui a séduit jusqu'au bout l'opinion", écrit Henri Tincq (Les obsèques du "curé du monde"). Mais pourquoi le destin de cet homme a-t-il si profondément marqué les consciences chrétiennes (et bien d'autres sans doute) ? Pour essayer de comprendre, je me suis tourné vers l'oeuvre de René Girard.
L’homme, observe Girard, ne peut tirer ses désirs de son propre fond ; il les emprunte à Autrui. Chacun imite le désir d'un Autre qui en imite un Autre qui en imite un Autre... qui tous s’efforcent de tenir leurs imitateurs en respect... De cette rivalité incessante naît une indifférenciation croissante, avec pour effet d'exacerber encore la rivalité (tant il est vrai que l’envie croît avec la similitude). Le précipité social de cette contagion mimétique, c’est la violence de tous contre tous, dont le cycle s’achève avec la convergence de tous contre un : le bouc émissaire.
Il suit de là que la communauté ne pourra contenir la violence que si elle parvient à contenir l'envie. C'est précisément l'objet du 10ème commandement : Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, rien de ce qui appartient à ton prochain (Ex 20, 17). Mais comment pourrait-on résister à l'envie du prochain si l'on ne peut échapper au mimétisme du désir ?
En réalité, nous dit Girard, l'homme est toujours libre de choisir quel modèle il veut imiter. C'est même en cela que réside sa liberté. Il peut choisir entre l'imitation de Satan (le père de l'envie, le patron des envieux) et l'imitation de Jésus-Christ. Pour chasser l'envie du coeur des hommes, il suffirait que la bonne imitation chasse la mauvaise. La bonne imitation, c’est-à-dire l’imitation de Jésus-Christ, ou, plus communément, l’imitation du prochain qui imite le prochain qui imite Jésus-Christ :
Souvenez-vous de ce que Paul dit aux Corinthiens : « Je vous en prie, montrez-vous mes imitateurs» (1 Co 4,16). Il ne demande pas cela dans un esprit d'orgueil individuel. Il se donne en exemple parce qu'il imite lui-même Jésus qui, à son tour, imite le Père. Il fait simplement partie d'une chaîne infinie de « bonne imitation », d'imitation sans rivalité, que le christianisme cherche à constituer. Les « saints » sont les maillons de cette chaîne. (René Girard, Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, 2004)
A l'image de Paul, Jean-Paul II avait conscience de faire partie de cette "chaine infinie de bonne imitation". C'est pourquoi il fut un pape si "médiatique"... Avec le succès d'audience que l'on sait... Par millions, les chrétiens reconnurent en lui leur bon pasteur, celui qui montre le chemin.
Le cardinal Ratzinger ne s'y est pas trompé, qui ouvre ainsi son homélie : « Suis-moi », dit le Seigneur ressuscité à Pierre; telle est sa dernière parole à ce disciple, choisi pour paître ses brebis. « Suis-moi. » Cette parole lapidaire du Christ peut être considérée comme la clé pour comprendre le message qui vient de la vie de notre regretté et bien-aimé pape Jean-Paul II... (Homélie du cardinal Ratzinger)
Lors de sa dernière apparition publique (pour la bénédiction urbi et orbi), les mots ont manqué à Jean-Paul II, et cependant il a été parfaitement entendu. Les millions de pèlerins qui se sont précipités à Rome ont saisi son message : "Suivez-moi"...
L'imitation de Jean-Paul II nous révèle que, plus que de croyances, les hommes des sociétés sécularisées ont toujours besoin de modèles pour s'orienter dans un monde complexe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire