19 oct. 2014

Faut-il avoir peur de la déflation ?


Le Monde nous explique, à longueur de colonnes (par exemple ici), que la déflation est dangereuse, qu'elle conduit tout droit à la dépression. Pour conjurer ce risque et relancer l'activité, il faudrait que la BCE soit beaucoup moins timorée et s'engage résolument dans une politique de quantitative easing. En ravivant l'inflation et en limitant l’ajustement des taux longs, cette politique favoriserait l’investissement et permettrait à l'Etat de se désendetter sans douleur. Elle aiderait aussi à faire baisser l'euro, dont on nous dit sans cesse qu'il est trop élevé : la compétitivité externe serait instantanément rétablie, là encore sans douleur.

La déflation vue par Le Monde

Las ! En économie, il y a toujours ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Ce qu'on nous donne à voir, ce sont les gains d'une politique de reflation. Les gagnants seraient à l'évidence les grands groupes (qui exportent une grande partie de leur production ou réalisent une bonne part de leur activité à l'étranger : leurs profits seraient plus élevés en euros), les banques (qui pourront se financer et se refinancer gratuitement et se lancer dans un juteux carry-trade) et bien entendu notre Etat impécunieux. Mais ce qu'on ne nous montre jamais, ce sont les perdants : les fonctionnaires, les retraités et les pauvres, dont le pouvoir d'achat diminuerait au rythme de l'inflation, ceux qui dépensent une bonne partie de leur revenu en biens et services produits hors zone euro, les épargnants, rémunérés à des taux réels négatifs, etc... A court terme, il n'est pas évident du tout que la demande globale augmente. Au Japon, où la politique ultra accommodante de la BoJ a fait baisser le Yen de 30 % et porté les taux réels en territoire négatif, la consommation des ménages est en baisse... A long terme, l'inflation et la dévaluation inciteraient le Gouvernement à repousser les réformes structurelles aux calendes grecques, et la croissance resterait durablement anémique.

On surestime donc grandement les bienfaits d'une politique de reflation. Symétriquement, on a tendance à surestimer les méfaits d'une déflation modérée. Au Japon, la déflation des années 1997 - 2007 n'a pas produit les conséquences négatives prédites par le schéma du Monde. Les variations annuelles de prix sont restées modestes, comprises entre + 0.2 et - 0.9 %. Le PIB par hab. a augmenté de 10 %, et le taux de chômage est demeuré très bas (3,8 % en 2007, après un pic à plus de 5 %). Source FMI data mapper

Dans une économie dynamique, générant des gains de productivité de 1 % par an ou plus, une déflation modérée est parfaitement soutenable. En élevant les taux réels, la baisse des prix accroît le pouvoir d'achat de l'épargne -- dans un pays qui vit au-dessus de ses moyens, avec un fort déficit structurel du compte courant, encourager l'épargne n'est pas une mauvaise chose. En augmentant les salaires réels, la baisse des prix élève le pouvoir d'achat des salariés, ce qui ne coûte rien aux entreprises tant qu’elle reste contenue dans les limites des gains de productivité. Enfin, la baisse des prix accroît la compétitivité externe, avec des effets plus durables qu'une dévaluation.

Bref, au lieu d'attendre un improbable salut de la BCE (les Allemands veillent au grain), la France ferait mieux de mettre en place sans tarder les réformes structurelles concernant le marché du travail, la fiscalité, l'éducation, les retraites, la recherche, les professions règlementées, etc. 


PS : Pour illustrer la spirale déflationniste, on cite souvent le cas de la Grèce, le seul pays de la zone Euro  actuellement en déflation.  A cela près qu’en Grèce, l'entrée en déflation coïncide avec la fin de la dépression ! On ne peut donc parler pour la Grèce de spirale déflationniste. 

Inflation et croissance en Grèce (2008 – 2015)
En %
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Taux d’inflation
+4.2
+1.2
+4.7
+3.3
+1.5
-0.9
-0.8
Taux de croissance
-0.2
-3.1
-4.9
-7.1
-7.0
-3.9
+0.6
 Source FMI data mapper
  
En fait, la déflation n'implique pas la récession. On peut avoir l'une et pas l'autre. Le Japon a eu la déflation avec la croissance, la Grèce a vécu une dépression sans déflation, l'Irlande a eu la récession et la déflation (en 2009 et 2010), le Vénézuéla et l'Argentine expérimentent actuellement la récession et l'inflation... 


1 commentaire:

M.H. a dit…

Pal mal l'article. Si vous voulez un bon bouquin théorique, je vous recommande celui ci.

Selgin, G. (1997). Less than zero: the case for a falling price level in a growing economy. London: Institute of economic affairs.

Il explique en quoi la déflation est bien meilleure que la stabilité des prix; par exemple, en induisant moins d'ajustements de prix (ce qui serait embêtant en cas de rigidité des salaires nominaux), en n'augmentant pas le fardeau de la dette sous l'effet de baisse des prix, etc. La stabilité des prix (ou pire l'inflation) pourrait même entraîner des cycles économiques dans un contexte de gains de productivité.

C'est de très loin le meilleur bouquin que j'ai lu sur la déflation. Et il est libre sur le site de IEA et Mises.