En France, les économistes antikeynésiens n'ont pas vraiment bonne presse et sont souvent caricaturés de la façon la plus grossière. Par exemple, dans les manuels d'économie du secondaire, on a coutume d’opposer économistes keynésiens et économistes libéraux, ce qui n'a aucun sens. Il est vrai que des économistes anti-keynésiens comme Robert Mundell, John Taylor, Kenneth Rogoff, Gregory Mankiw, Robert Hall, Robert Barro, Edward Prescott, Robert Lucas, Milton Friedman, etc... sont des économistes libéraux, mais à ma connaissance, nombre d'économistes qualifiés de keynésiens (Paul Krugman, Edmund Phelps, Olivier Blanchard, Charles Wyplosz, Keynes soi-même, etc.) le sont aussi. Pour ajouter à la confusion, presque tous utilisent aujourd'hui les mêmes modèles dit néo-keynésiens (partant de l'hypothèse de rigidité des prix à court terme : suite à un choc de demande, ce sont d'abord les quantités produites qui s'ajustent), et tous font confiance à la politique macroéconomique pour lisser le cycle d’activité, préserver la stabilité des prix et le plein emploi.
Qu'est-ce donc qui distingue keynésiens et anti-keynésiens ? La réponse de John Taylor me paraît excellente (*). Pour les économistes keynésiens, les politiques monétaire et budgétaire doivent être utilisées activement et discrétionnairement. En particulier, l’augmentation discrétionnaire des dépenses publiques aurait un effet multiplicateur sur l’activité, de nature à limiter la récession et accélérer la reprise. De leur côté, les économistes anti-keynésiens sont hostiles à toute politique discrétionnaire, jugée inefficace en raison des anticipations et des incitations négatives qu’elles déclenchent inévitablement ; mieux vaut, selon eux, encadrer la politique monétaire par des règles strictes (eg, la règle de Taylor), et limiter la politique budgétaire aux seuls stabilisateurs automatiques (**). De façon générale, les anti-keynésiens reprochent aux keynésiens de ne pas prendre en compte le rôle des incitations, des anticipations, le progrès technique (les innovations technologiques, les gains d'efficience). Ils pensent aussi qu'on ne traite pas la crise actuelle avec des mesures de court terme.
Pour ces économistes, le nouveau plan de relance d'Obama est un coup d'épée dans l'eau. On augmente les dépenses publiques aujourd'hui, et, dans le même temps, on fait savoir qu'on resserrera les boulons demain, dès que l'économie sera repartie. Mais comment l'investissement pourrait-il repartir si les entreprises anticipent qu'elles verront, dans un an, deux ans, trois ans au mieux, augmenter leurs taux d'imposition (IS, prélèvements sociaux), baisser la demande de leurs produits (avec la hausse probable des impôts sur les revenus et des taxes sur la consommation) ? Les agents ont besoin d'un environnement fiscal, monétaire et règlementaire stable. Quand le gouvernement change sans cesse les taux d'imposition, multiplie les niches fiscales, crée sans cesse de nouvelles dépenses, sans garantir leur financement à long terme, quand la Banque Centrale change sa règle de fixation des taux d'intérêt, on crée de l'incertitude et des effets pervers. Il me semble que ce sont là des arguments forts, qui méritent d'être pris en compte.
(**) Laisser jouer les stabilisateurs automatiques n'est pas en soi keynésien : aucun économiste anti-keynésien ne prône une politique de rigueur en période de récession ! Mais tous s'accordent à dire qu'en période normale, le budget doit être proche de l'équilibre, et que le déficit structurel doit toujours être proche de zéro.
PS : cf. ce bon article de Mankiw, dans le New York Times: How to Make Business Want to Invest Again, by Greg Mankiw, et cette interview éclairante de Robert Lucas dans le Wall Street Journal : Chicago Economics on Trial.
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