Cas
Mudde, un professeur de sciences politiques de l’université de Géorgie, définit
le populisme comme une idéologie légère (‘thin’),
un schéma de pensée centré sur l’opposition du peuple vertueux et de l’élite
corrompue, sur lequel peuvent venir se greffer des idéologies plus épaisses (‘thick’) comme le socialisme, le
nationalisme, l’anti-impérialisme, ou le racisme. Ainsi, le populisme national-chrétien
d’un Kaczynski prétend libérer les institutions polonaises de la tutelle des
élites libérales sans Dieu ; le populisme national-laïque du Hollandais Wilders
pourfend l’islam et l’élite multiculturaliste ; le populisme anarcho-socialiste
de Podemos attaque “la casta” et propose de redistribuer aux pauvres les
appartements saisis par les banques. Selon Cas Mudde, le bon côté du populisme
est d’obliger les élites dirigeantes à traiter de problèmes sociaux qu’elles
préféraient jusque-là balayer sous le tapis. Quant aux mauvais côtés,
ils sont amplement illustrés par le naufrage économique et démocratique
d'un pays comme le Vénézuéla.
De
son côté, Jan-Werner Müller, un professeur de sciences politiques à Princeton,
définit les populistes par leur revendication d’être les seuls représentants
légitimes du peuple, tous les autres étant présumés illégitimes. Il distingue
un populisme inclusif, commun en Amérique Latine, qui cherche à représenter les
laissés pour compte (les pauvres et les minorités), et un populisme exclusif,
plus commun en Europe, qui stigmatise certains groupes sociaux (les roms, les
réfugiés). En pratique, le populisme combine souvent les deux aspects. Le
populisme exclusif, anti-immigrés, anti-minorités, comporte aussi une dimension
inclusive : ainsi, le discours populiste de Trump était dirigé en priorité vers
les petits blancs qui avaient le sentiment d’être abandonnés par Washington. Inversement,
comme le montre l’exemple vénézuélien, le populisme inclusif ne résiste pas
longtemps au délabrement inévitable de l’économie : quand les caisses de
l’état se vident, quand il n'est plus possible d'acheter la bienveillance du
peuple, quand l’inflation, la pénurie et l’incurie multiplient les
mécontentements, le pouvoir désigne des boucs émissaires à la
vindicte populaire, dénonce le complot de l’étranger, élimine les
contrepouvoirs, bâillonne la presse, intimide ses opposants, n'hésitant pas
pour cela à mobiliser les services de la pègre.
Dans les pays occidentaux,
la montée d’un populisme de droite peut s’analyser comme un retour de bâton de
la part des classes blanches peu éduquées envers les élites éduquées. Comme le
montrent les enquêtes successives des WVS, les valeurs de tolérance et d’acceptation
des différences sont devenues largement dominantes dans la population des pays
riches ; néanmoins, elles restent minoritaires parmi les moins éduqués. Ces
derniers sont profondément perturbés par l’avènement de la société
multiculturelle et l’immigration non européenne. Ces « petits blancs »
ont le sentiment que leurs valeurs, leur culture, tout ce qui fait leur
identité collective, ne sont plus reconnues, que les élites ne s’intéressent
pas à eux, voire les méprisent, et qu'il n'y en a que pour les citadins éduqués et les minorités. Pour reprendre l’expression d’Arlie Russel Hochschild,
ils se sentent de plus en plus étrangers dans leur propre pays.
Les populistes ont reçu cinq
sur cinq le message. En mettant en avant l’attachement à la patrie, au travail,
à la famille, ils ramènent au premier plan les valeurs populaires
traditionnelles, ressuscitant un sentiment d’identité et de fierté collective essentiel
pour tous ceux qui ne peuvent trouver l’estime d’eux-mêmes dans leurs propres réalisations.
En stigmatisant les populations immigrés d’origine non européenne, définies
comme une menace pour la cohésion nationale, ils renforcent encore le sentiment
de communauté, tant il est vrai que le Nous
se nourrit de la présence obsédante des Ils.
Dans la mesure où les grands partis de gauche ont tous intégré le logiciel
multiculturaliste, l’extrême-droite n’a eu aucun mal à récupérer la
quasi-totalité du vote populaire.
Le
populisme s'oppose radicalement au libéralisme classique. En suivant Inglehart et Norris (2016), on peut classer les partis
politiques sur cette échelle à deux dimensions (libéralisme économique vs
libéralisme politique et culturel).
En
France, le Front National est clairement un parti populiste ; Fillon et Les Républicains représentent la droite
traditionnelle, économiquement et politiquement libérale,
culturellement conservatrice ; Macron incarne assez bien le pôle du
libéralisme classique. La place du néocommuniste Mélenchon est plus ambiguë.
D’un côté, son positionnement, antilibéral en économie, libéral dans le
domaine culturel, le situe clairement du côté de la gauche radicale (à
l'extrême sud-ouest du graphique). D’un autre côté, son discours
anti-élites, anti-système, anti-européen, la démagogie de ses promesses
électorales, son alignement sur la politique extérieure de Poutine,
l'apparentent au Front National. Le Mélenchonisme constituerait
toutefois une version plus inclusive du populisme, avec le risque d’une dérive vénézuélienne
quand l’économie ne répond plus.
Une
petite webographie sur le populisme
Eléments de définition
Vidéoconférence:
‘What is Populism?’,
by Jan-Werner Muller (Princeton University). En français : Entretien
avec Jan-Werner Muller (France Culture)
Audio:
Entretien avec Pierre Rosanvallon : Le populisme (France
Culture)
Le naufrage du Vénézuéla
Pourquoi le populisme séduit-il aussi les
nations les plus avancées ?
Le cas américain : The Politics of Resentment, une vidéoconférence de Katherine Cramer, auteur de The Politics of Resentment
(2016), une enquête sur le ressentiment populaire dans le Wisconsin profond ; America's forgotten working class, un Ted talk de J.D. Vance, auteur de ‘Hillbilly Elegy, Memoirs of a family and
culture in crisis’, 2016 ; Vidéo: Entretien avec Arlie Russell Hochschild (Democracy now), auteur de “Strangers in Their Own
Land”, une enquête sur les supporters du Tea Party en Louisiane ; Behind 2016’s
Turmoil, a Crisis of White Identity, by Amanda Taub (New York Times)
Et
au-delà : It’s not just Trump. Authoritarian populism is rising across
the West. Here’s why. By Pippa Norris (Washington Post) ; When and Why
Nationalism Beats Globalism, by Jonathan Haidt (The American Interest). CR de David Brooks: We Take Care of
Our Own (New
York Times)
Le cas Mélenchon
De quoi Jean-Luc Mélenchon est-il le nom?, par Marc Lazar
(Télos)
La vertu, le bruit et la fureur…, par Alain Bergounioux
(Télos)
Economie du populisme
Andersen
Torben M., Giuseppe Bertola, John Driffill, Clemens Fuest, Harold James,
Jan-Egbert Sturm and Branko Uroševic, "The EEAG Report on the European
Economy 2017: Economics of Populism", CESifo Group Munich, 2017. Cf. en
particulier le chapitre 2 : Economic
Policy and the Rise of Populism – CR : Les promesses économiques des populistes sont-elles
réalistes ?, par Marie Charrel (Le Monde)
Economics of the populist backlash, by Dani Rodrik (Vox)
Hamon, Mélenchon et Le Pen sont dans un bateau - et ils naviguent dans l’irréel, par Charles Wyplosz (Télos)
Economics of the populist backlash, by Dani Rodrik (Vox)
Hamon, Mélenchon et Le Pen sont dans un bateau - et ils naviguent dans l’irréel, par Charles Wyplosz (Télos)
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