Si l'on en croit les chercheurs du Ministère, la baisse des redoublements favorise la réussite des élèves. On observe en effet une corrélation remarquable entre la baisse du taux d'élèves en retard en troisième et l'augmentation du taux de réussite au Bac (cf. graph.).
Forte
baisse du redoublement : un impact positif sur la réussite des élèves
-- Note d’information (MEN), nov. 2014
Mais, comme on sait,
corrélation ne vaut pas causalité. Il y a peut-être une variable cachée...
1. L’enjeu
budgétaire de la réduction des redoublements
Le déclin du redoublement est un mouvement
amorcé depuis cinquante ans dans le primaire et trente ans dans le secondaire
(cf. annexe). D'après Le Figaro, le Gouvernement veut mener ce mouvement à
son terme : « Najat Vallaud-Belkacem, et avant elle Benoît Hamon et
Vincent Peillon, ont fait de la fin du redoublement un cheval de
bataille ». Il y a de bonnes raisons pour cela (cf. Le
Figaro, 24 Sept. 2014). L’une d’elles, et non la moindre, est d’ordre
budgétaire.
Si l'on prend comme base de comparaison l'année 1985-86, la baisse des
redoublements économise
chaque année 5,4 milliards d’euros à l’Etat. En éliminant complètement le
redoublement, on pourrait économiser 2 à 3 milliards d’euros supplémentaires.
Par ces temps de disette budgétaire, l’enjeu est donc considérable.
A. Evolution
des redoublements en primaire
Année
scolaire
|
%
d’élèves entrés en 6ème ayant
|
|
Un an de
retard
|
Plus
d’un an de retard
|
|
1985-86
|
24,4
|
12,1
|
2013-14
|
11,1
|
0,3
|
B. Evolution
des redoublements en collège
Année
scolaire
|
Taux de
redoublement en %
|
|||
6ème
|
5ème
|
4ème
|
3ème
|
|
1985-86
|
12,5
|
16,4
|
9,4
|
14,3
|
2012-13
|
3,0
|
1,7
|
2,6
|
4,1
|
C. Evolution
des redoublements en lycée général et technologique
Année scolaire
|
Taux de redoublement en %
|
||
2d
|
1ère
|
Te
|
|
1985-86
|
17,8
|
12,7
|
19,9
|
2012-13
|
9,1
|
5,3
|
7,1
|
D. Le coût total des redoublements
1985-86
|
Nombre d’années perdues (base effectifs 2013)
|
Coût moyen d’un élève en 2013
|
Coût des redoublements (en milliards €)
|
Primaire
|
294 580
|
6 220 € / an
|
1,8
|
Collège
|
413 125
|
8 240 € / an
|
3,4
|
Lycée
|
247 402
|
10 960 € / an
|
2,7
|
Total
|
////
|
////
|
7,9
|
2012-13
|
Nombre d’années perdues (base effectifs 2013)
|
Coût moyen d’un élève en 2013
|
Coût des redoublements (en milliards €)
|
Primaire
|
92 006
|
6 220 € / an
|
0,6
|
Collège
|
89 537
|
8 240 € / an
|
0,7
|
Lycée
|
106 490
|
10 960 € / an
|
1,2
|
Total
|
////
|
////
|
2,5
|
Sources : Etat de l’Ecole 2014 -- Repères et Références statistiques, 2014 -- Le traitement de la difficulté scolaire (Éducation & formations 2003)
Avec la baisse des redoublements, l’âge moyen des candidats au bac a diminué. Le pourcentage d’élèves à l’heure parmi les candidats au bac GT a doublé en vingt ans : 33 % en 1992, 67 % en 2013 (RERS 2014). Pourtant, loin de s’effondrer, le taux de réussite au Bac s’est envolé (cf. graph.).
Avec la baisse des redoublements, l’âge moyen des candidats au bac a diminué. Le pourcentage d’élèves à l’heure parmi les candidats au bac GT a doublé en vingt ans : 33 % en 1992, 67 % en 2013 (RERS 2014). Pourtant, loin de s’effondrer, le taux de réussite au Bac s’est envolé (cf. graph.).
2.
Comment le niveau monte
L’augmentation des taux de réussite s’explique
bien sûr par celle des moyennes: cf. Les
notes du bac (Coulmont, 21/10/2014). Cette inflation des notes,
commencée dans les années 90, a notamment conduit à une augmentation
spectaculaire des mentions : au bac général, on comptait moins de 5 % de
mentions bien et très bien jusqu'en 1990, on en compte cinq fois plus aujourd'hui
(27 % pour la session 2014).
Bref, les candidats sont moins
sélectionnés que leurs aînés, mais ils obtiennent de meilleures notes. Comment expliquer
ce miracle ?
Pour faire monter le niveau, le plus
simple est d'agir en amont : en simplifiant les programmes, ou en
faisant en sorte que les sujets soient accessibles au plus grand nombre. Et si manipuler les sujets ne suffit pas,
on peut encore trafiquer les barèmes. Cf. cet article : Bac
S 2014 : les correcteurs incités à noter généreusement maths et physique (Le Monde).
Une autre méthode, tout aussi efficace,
consiste à agir en aval, en imposant des normes de correction plus
bienveillantes. Depuis quelques années, la pratique d'une seconde réunion
d'harmonisation s'est généralisée. C'est l’occasion d’inciter les
collègues les plus exigeants à s’aligner sur la norme commune. Au
besoin, les plus récalcitrants sont rappelés à l'ordre. Dans l'académie
d'Amiens, "si un correcteur met des notes très en dessous ou très
au-dessus des autres, nous alertons l'inspecteur chargé de la discipline. A lui
de décider s'il y a ou non problème", explique Mme L., responsable du service des concours et examens du rectorat. "Si un
professeur refuse d'entendre les recommandations de son inspecteur, poursuit Le
Monde, il a toute chance d'être oublié l'année suivante à l'heure des
convocations au bac" (Du
crayon rouge au délibéré, itinéraire d'une note au bac). C’est ce qui est
arrivé à ce professeur : "Il y a une dizaine d’années, j’ai été
amené à corriger un paquet de copies du bac (80 environ) en SES dont un grand
nombre étaient particulièrement indigentes. Le résultat a été une moyenne de 6,
alors que mes corrections aboutissaient à 9/10 de moyenne les années
précédentes. Personne n’a fait pression sur moi (il faut dire que le jury a été
extrêmement généreux pour accorder des points de « rattrapage »),
mais je n’ai plus été convoqué par le rectorat pour corriger des copies les
années suivantes…" (cf. ici)
La technique est devenue d'autant plus utilisée que le vivier des correcteurs s’est
accru dans les années 90, avec l’arrivée des professeurs du privé (jusque-là, seuls
les profs du public corrigeaient le Bac).
Pour comprendre les effets
inflationnistes de ce type de pratique, on peut en dérouler le mécanisme.
Supposons que les correcteurs tendent à ajuster leur notation en fonction
de la moyenne des années passées. Supposons encore que celle-ci soit de 9
(comme au début des années 90), avec une dispersion telle que 20 % des
enseignants affichent des moyennes de 7, 20 % des moyennes de 8, 20 % des
moyennes de 9, 20 % des moyennes de 10, 20 % des moyennes de 11. Supposons enfin que les inspecteurs écartent systématiquement les professeurs les
plus sévères, tous ceux qui avaient 7 de moyenne. Mécaniquement, la moyenne monte : de 9 à 9,5. Une fois enclenché, le
mécanisme s’entretient de lui-même. Les années suivantes, la norme est plus élevée (+
0,5 point) : 25 % des
correcteurs affichent des moyennes de 8,5 ; 25 % des moyennes de 9,5 ; 25 % des
moyennes de 10,5 ; 25 % des moyennes de 11,5. La moyenne générale est désormais
de 10. Et ainsi de suite...
Conclusion
Dans un contexte budgétaire tendu, le
Ministère a réduit les redoublements tous azimuts. La classe de terminale constituait un point d'achoppement. Le
taux de redoublement dépend ici du taux de réussite au bac, qui ne
se décrète pas. Or, jusqu'en 1985, ce dernier atteignait à peine
66 %, ce qui faisait beaucoup de redoublants. La moindre sélection en amont ne pouvait qu'aggraver les choses. On a donc adapté le Bac à la nouvelle donne. A cet effet, les IPR ont été amenés à
contrôler plus étroitement l'évaluation ; les jurys ont été abreuvés de consignes de bienveillance
; les épreuves sont également devenues plus faciles. Du coup, les notes se sont
envolées. Et le tour était joué : le taux de réussite au bac
général atteint désormais 92 %.
Alors oui, les élèves redoublent moins.
Mais ils ne réussissent pas mieux. Pour cela, il eut fallu développer
considérablement l'apprentissage, réformer en profondeur les séries
professionnelles et technologiques, et ne pas accepter dans l'enseignement général des élèves qui n'ont rien à y faire. Au lieu de quoi, on a bradé les
diplômes, c'est tout.
PS : l'évolution de notre système
d'enseignement illustre bien le phénomène de "régression
hiérarchique", mis en lumière par Laurence Peter et Raymond Hull. Extraits
du Principe de Peter (1969) :
Un administrateur
m'a dit : "J'aimerais pouvoir faire passer tous les cancres et recaler les
intelligents ; ainsi le niveau serait haussé et les classes progresseraient. Ce
stockage de cancres abaisse le niveau en réduisant la moyenne de mon
école". Une politique aussi paradoxale ne sera certainement pas admise.
Donc, pour éviter l'accumulation des incompétents, les administrateurs ont
imaginé de promouvoir tout le monde, les incompétents comme les compétents !
Ils justifient psychologiquement cette idée en disant que cela évite aux enfants
d'être traumatisés par l'échec. En fait, ils appliquent la sublimation
percutante aux élèves incompétents. Le résultat de cette sublimation en
gros, c'est que la classe terminale du lycée représente aujourd'hui le même
niveau intellectuel que la classe de seconde d'il y a peu de temps. (...) C'est
ainsi que les certificats et les diplômes perdent leur valeur en tant
qu'étalons de compétence. Avec l'ancien système nous savions qu'un élève qui ne
"passait" pas en cinquième avait dû être au moins compétent en
sixième. Nous savions que l'étudiant qui échouait en première année
d'université avait dû être au moins un bon élève de lycée, etc. Mais à présent,
c'est fini. Le diplôme moderne prouve simplement que l'élève a eu la compétence
de supporter un nombre donné d'années d'études. J'appelle ce phénomène la
régression hiérarchique. (...) La régression hiérarchique dans l'enseignement
est provoquée par une sublimation percutante massive des élèves qui, autrefois,
auraient eu droit à l'échec...
Annexes :
Source : CNESCO
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