L’objet de l’économie n’est pas toujours facile à identifier. Les définitions ont pas mal évolué au fil du temps, suivant en cela l’évolution de la discipline, et elles varient selon la conception que les économistes se font de leur métier. Faute de consensus, la boutade de Jacob Viner pourrait tenir lieu de définition : « l’économie, c’est ce que les économistes font ».
Il n’en reste pas moins que, à chaque époque de l’histoire de la discipline, une conception a dominé les autres.
La vision classique, l’administration de la richesse
C’est au grec Xénophon que l’on attribue généralement l’invention du mot « économie », au IVème siècle avant Jésus-Christ. A Socrate qui lui demande quel est l’objet de l’économie, Critobule répond : « L'objet d'un bon économe est de bien gouverner sa maison ». Au besoin, le "bon économe" peut aussi gouverner les maisons des autres, tâche pour laquelle il percevra un salaire, « et même un salaire considérable, si, après s'être chargée de l'administration d'une maison, il l'améliorait par son talent à remplir ses devoirs. » -- Xénophon, Economique, chap. 1, p. 1.
Deux mille ans plus tard, on parle désormais d’ « économie politique » pour désigner la science de l’administration de la cité ou du royaume. En 1776, Adam Smith la définit ainsi : « Considérée comme une branche de la science de l’homme d’Etat ou d’un législateur, l’économie politique se propose deux objets distincts : premièrement, procurer au peuple une subsistance abondante ou un revenu abondant, ou plus exactement mettre les gens en état de se procurer une telle subsistance ou un tel revenu ; et deuxièmement, assurer à l’Etat ou à la collectivité un revenu suffisant pour les services publics. L’économie politique se propose d’enrichir tout à la fois le peuple et le souverain ». (La Richesse des Nations, Livre IV, introduction, page 481, PUF, traduit par Paulette Taieb)
L’économie politique classique étudie la richesse des nations et les moyens de l’augmenter. La grande question que se pose Adam Smith est de savoir pourquoi certaines nations sont devenues riches tandis que tant d’autres sont restées pauvres. De nos jours, la question d’Adam Smith est toujours d’actualité. Comme le reconnaît Robert Lucas, "quand on commence à y réfléchir, il devient difficile de penser à autre chose".
Vers la fin du 19ème siècle, l’objet de l’économie s’élargit à l’étude des conduites économiques des individus, et plus précisément aux « activités pratiques des hommes qui économisent » (Carl Menger, Préface à Principles of Economics, 1871), par quoi il faut entendre le fait d’utiliser efficacement les moyens disponibles pour atteindre ses objectifs. Economiser, nous dit Frank Knight, c’est « utiliser, ou s’efforcer d’utiliser, économiquement, c'est-à-dire efficacement, des moyens donnés pour atteindre des fins » (Economics and Ethics of the Wage Problem, 1951). Retrouvant Xénophon et l’étymologie grecque (oikonomia, la science de l’administration du domaine -- oikos), Philip Wicksteed définit l’économie comme la science qui étudie « les principes généraux de l’administration des ressources, aussi bien au niveau de l’individu et du ménage qu’au niveau de l’entreprise ou de l’Etat ; elle inclut aussi l’étude de la façon dont ces ressources sont gaspillées. (…) Une administration efficace consiste en une sélection avisée entre des usages alternatifs de ressources, en fonction des objectifs que vise l’administrateur » (The Common Sense of Political Economy, 1910).
Après la deuxième guerre mondiale, sous l’influence de Lionel Robbins, l’accent est mis sur les choix économiques en contexte de rareté.
La vision moderne, la science des choix en contexte de rareté
« L'Économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et des moyens rares à usages alternatifs » (Essai sur La nature et la signification de la science économique).
La définition de Robbins s’est progressivement imposée dans les manuels d’économie. En 1976, le principal manuel sur le marché définit l’économie ainsi : “L'économie est l'étude de la façon dont l'homme et la société choisissent, avec ou sans recours à la monnaie, d'employer des ressources productives rares qui sont susceptibles d'emplois alternatifs, pour produire différents biens et les affecter à la consommation, présente ou future, des différents individus et groupes qui constituent la société. Elle analyse les coûts et les bénéfices de modifier l’allocation des ressources.” -- Paul A. Samuelson, Economics, 10ème ed. McGraw Hill, 1976.
L’économie devient la science de l’administration des ressources rares. Une gestion efficace des ressources rares ne doit pas seulement réduire les coûts, i.e. minimiser les gaspillages, elle vise aussi à maximiser les bénéfices -- la satisfaction de l’agent, qu’il soit consommateur ou producteur. “En gardant à l’esprit que les besoins sont illimités et que les ressources sont rares, l’économie peut être définie comme la science sociale concernée par le problème de l’utilisation ou de l’administration des ressources rares (les moyens de production) en vue d’obtenir la satisfaction la plus grande possible, i.e. maximale, de besoins illimités (le but de la production).” -- Campbell McConnell R., Elementary Economics: Principles, Problems and Policies. McGraw-Hill, 1960.
Finalement, on retiendra la définition suivante : « l’économie est l’étude de la manière dont les individus forment des choix dans des conditions de rareté et des résultats de ces choix pour la société. » (Principes d’Economie, Robert Frank et Ben Bernanke, 4ème édition, Economica 2009).
Pour en savoir plus : R. Backhouse et S. Medema [2009], « Retrospectives On the Definition of Economics », Journal of Economic Perspectives, vol. 23, n°1, Winter, pp. 221-233.
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