5 mai 2010

Le rôle régulateur des prix sur le marché : une expérience naturelle à Boston

Le texte ci-après est traduit d'un article de Jeff Jacoby, What’s wrong with price gouging?, paru dans le Boston Globe du 4 mai 2010

Le Procureur Général de l’Etat du Massachusetts, Martha Coakley, ne pouvait pas faire grand-chose après la panne massive qui a privé d’eau potable les habitants de l’agglomération de Boston ce week-end. Alors, elle s’est employée à sermonner les vendeurs de bouteilles d’eau minérale, les sommant de ne pas profiter de la situation pour augmenter leurs prix. Dimanche, Coakley déclarait : « Les entreprises et les particuliers ne peuvent et ne doivent pas profiter de l'urgence présente pour imposer aux consommateurs des prix abusifs ». Des inspecteurs ont été dépêchés, des "contrôles in situ'' effectués, et « si nous découvrons que des entreprises se livrent à des prix abusifs, a-t-elle prévenu, nous prendrons les mesures nécessaires ». Le Gouverneur Patrick Deval s’y est mis lui-aussi. Il a ordonné aux services de l’Etat de "surveiller de près les prix de l'eau minérale'' dans la zone touchée par la crise de l'eau. "Il n'y a jamais d’excuses pour exploiter les consommateurs, a-t-il déclaré, surtout pas dans des moments pareils. »

Ça ne loupe jamais. Sitôt qu’une catastrophe déclenche un besoin urgent de ressources indispensables, les voix des bien-pensants s’élèvent pour dénoncer un système d'une efficacité surprenante, qui incite les fournisseurs de ces ressources à les offrir aux personnes qui en ont besoin. Ce système est le mécanisme des prix sur un marché libre, la fluctuation des prix en raison des variations de l'offre et la demande.

Quand la demande d'eau minérale crève le plafond – ce qui est une autre façon de dire que l'eau minérale est devenue (relativement) rare - le prix augmente rapidement en réponse. Cette flambée des prix peut être gênante, mais beaucoup moins que de ne pas pouvoir trouver d'eau à vendre, à n'importe quel prix. La hausse des prix évite que les quantités limitées ne s’évaporent dès aujourd'hui, tout en augmentant les chances que le ravitaillement arrive dès demain.

Il est facile de diaboliser les fournisseurs qui facturent ce que permet le marché après une catastrophe. "Après la tempête viennent les vautours'', titrait mémorablement USA Today face à la hausse des prix qui suivit l'ouragan Charley en Floride en 2004. Coakley n'a traité personne de vautours, du moins pas encore, mais son bureau a ouvert une hotline pour encourager le public à dénoncer les profiteurs. Avant de décrocher votre téléphone, considérez qui sert réellement l'intérêt public, du marchand qui augmente ses prix à la faveur de la crise, ou du commerçant qui s’y refuse ?

Faisons une expérience mentale: en raison d’une rupture massive de la distribution, l'eau du robinet devient impropre à la consommation, et les consommateurs se précipitent dans les magasins pour acheter des bouteilles d'eau minérale. Le vendeur A, ne voulant pas indisposer le gouverneur et le procureur général, laisse inchangé le prix de son eau, à 69 cents le litre. Le vendeur B, plus intéressé à faire des affaires qu’à complaire aux politiciens, multiplie ses prix par 4, à 2,99 $ le litre. Pas besoin d'un manuel d'économie pour deviner ce qui se passe ensuite. Les clients affluent chez le vendeur A, dont le stock est rapidement épuisé (cf. cette vidéo). Les clients retardataires ne trouvent plus que des étals vides. Heureusement, ils peuvent encore aller chez le Vendeur B, dont les ventes ont augmenté plus modérément. Les clients rouspètent, certes, mais tous sont servis, et, vu le prix élevé, (presque) aucun n'achète plus que ce dont il a vraiment besoin.

Quand la demande s’envole, les prix augmentent. Et comme les prix augmentent, les vendeurs redoublent d'efforts pour répondre à la demande. Le Globe rapportait hier comment embouteilleurs et détaillants se sont démenés pour produire, livrer et proposer à la vente le plus de bouteilles d’eau minérale possible. « Les fournisseurs ont fait des heures supplémentaires, pour pomper, embouteiller, et livrer le plus vite possible, rapporte le journaliste Erin Ailworth. Polar Beverages à Worcester, par exemple, a vidé son usine locale la nuit dernière pour pouvoir y entreposer les millions de litres d’eau minérale livrées par camion depuis son usine de New York. »

Laisser les prix augmenter n’est pas la seule réponse possible face à une pénurie soudaine. Le rationnement en est une autre, comme le contrôle des prix – avec la corruption inévitable, les longues files d’attente, et le marché noir que cela implique. Mais, mieux vaut, de loin, laisser les prix monter et descendre librement. Ce n’est pas « abusif », c’est juste ce que commande le bon sens, et la meilleure méthode que l’on connaisse pour répartir des ressources rares entre des hommes et des femmes libres.

10 commentaires:

Yannick Bourquin a dit…

Excellent article. Bryan Caplan dans "The Myth of the Rational Voter" explique les gens sont souvent victimes d'un "biais anti-marché" parce qu'ils pensent que l'augmentation des prix ne s'explique que par un accroissement de la cupidité des vendeurs. D'après lui, outre le fait que les mêmes personnes se retrouvent alors bien incapables d'expliquer comment les prix peuvent parfois baisser, le public tend à ne pas percevoir le lien qui existe entre le prix et l'ajustement de l'offre et de la demande (et du coup, entre la régulation des prix et l'apparition de files d'attente).

Anonyme a dit…

"Les voix des bien-pensants s’élèvent pour dénoncer un système d'une efficacité surprenante, qui incite les fournisseurs de ces ressources à les offrir aux personnes qui en ont besoin"

Ne serai-ce pas plutôt: "..aux personnes qui en ont les moyens"?

Dans votre exemple, vous oubliez "juste" de préciser que ceux qui n'ont pas les moyens de faire face au quadruplage des prix du vendeur A ... meurent, tout simplement.

De plus, les prix élevés n'empêcheront que celui qui n'en a pas les moyens de faire des réserves: les autres pourront toujours se le permettre, en dans ce genre de crise, le feront.

Bref, une analyse intéressante mais bien limitée.

Claude Bordes a dit…

Réponse à "Anonyme" : dans un cas extrême (les famines africaines), la hausse des prix peut être telle que les gens meurent, c'est vrai. Mais, en l'absence de hausse des prix, les quantités offertes étant plus réduites encore, le nombre des morts serait bien plus considérable. Si l'Etat veut s'occuper de ce qui le regarde, il doit seulement s'efforcer de solvabiliser la demande, le marché s'occupera du reste.

Cf. Pauvreté et Famine au Niger : http://antisophiste.blogspot.com/2005/09/pauvret-et-famine-le-cas-du-niger.html

Anonyme a dit…

"Mais, en l'absence de hausse des prix, les quantités offertes étant plus réduites encore,"

Pouvez-vous m'expliquer par quel raisonnement vous en arrivez à la conclusion que, les prix augmentant, l'offre va être nécessairement plus importante? (et vice-versa: les prix n'augmentant pas, l'offre va être réduite?)
Dans votre article, vous montrez seulement que l'offre de bouteilles d'eau va s'écouler plus lentement (ce qui est possible, mais pas certain), pas que l'offre est en soit plus importante.

Parce que les prix augmentent, les vendeurs vont tout d'un coup découvrir tout un stock de bouteilles d'eau cachées au fond de leur garage, tandis que, les prix restant stables, ils ne l'auraient bien sûr pas fait?

C'est prétendre les vendeurs beaucoup plus rationnels et informés qu'ils ne le sont (ah, la concurrence pure et parfaite!)

De fait, le volume de l'offre (ici, de bouteilles d'eau) est déterminée par bien d'autre chose que les seuls prix (contrairement à ce que le modèle néo-classique prétend): prévision des vendeurs, capacité de stockage et de production, productivité, réactivité, cupidité (cf OPEP)...

jef a dit…

à Aonyme:

"Quand la demande s’envole, les prix augmentent. Et comme les prix augmentent, les vendeurs redoublent d'efforts pour répondre à la demande. Le Globe rapportait hier comment embouteilleurs et détaillants se sont démenés pour produire, livrer et proposer à la vente le plus de bouteilles d’eau minérale possible. « Les fournisseurs ont fait des heures supplémentaires, pour pomper, embouteiller, et livrer le plus vite possible, rapporte le journaliste Erin Ailworth. Polar Beverages à Worcester, par exemple, a vidé son usine locale la nuit dernière pour pouvoir y entreposer les millions de litres d’eau minérale livrées par camion depuis son usine de New York. »"

Voilà la réponse. Si les prix n'augmentent pas, les vendeurs ne vont pas réaliser ces efforts car le coût marginal serait superieur à la recette marginal. De plus cela force les gens à acheter le strict minimum et donc une meilleure allocation des ressources.

D Chabaud a dit…

merci pour cette traduction

Anonyme a dit…

@Jef

Parce que vous vous figurez que les vendeurs de bouteilles d'eau s'amusent à calculer leur "coût marginal" dans ce genre de situation?

Que certains vendeurs fassent des heures sup' parce que les prix ont augmenté, je l'admets sans peine. Que l'augmentation des prix puisse contribuer à une meilleure allocation des ressources, sans doute (et encore, au détriment des plus pauvres)

Mais croire que les vendeurs vont tripler leur production parce que leur coût marginal a augmenté me semble complètement irréaliste. D'abord, parce que le volume de leur production est limité par quantités de facteurs (ce n'est pas parce que les prix augmentent qu'ils peuvent vendre plus de bouteilles d'eau), ensuite, parce que les vendeurs sont beaucoup moins rationnels que vous ne le prétendez.

jef a dit…

@ Anonyme,

Oublions les concepts marginalistes et de rationalité parfaite si vous voulez.

Le point a souligner est tout simplement que l'augmentation des prix va inciter les vendeurs à vendre plus car ils pourront ainsi augmenter leur profit. Après, quant au niveau de l'augmentation de l'offre, cela dépend bien évidemment de la quantité de facteurs disponibles et du coût de la production supplémentaire. On peut imaginer que les vendeurs n'arrivent effectivement pas à augmenter leur production, il restera néanmoins une meilleur allocation entre les consommateurs.

Unknown a dit…

Hum, dans le principe, de façon globale... certes, voici l'idée bien ancienne et toujours juste
Mais, elle est bien insuffisante,sinon les États n'auraient pas besoin de voler au secours de l'économie.



D'abord, il faut prendre en compte l'aspect géographique : dans cette région il peut y avoir pénurie temporaire, mais des bouteilles d'eaux produites dans les environs , surtout a boston, il y en a en quantités. Dès lors , dans un pays bien desservi en autoroutes, n'importe quel wallmart du coin n'aura aucune difficulté, et avec une augmentation raisonnable du cout marginal d'assurer l'approvisionnement continu

Deuxièmement, la bouteille d'eau devient d'autant plus un produit d'appel, chaque magasin a intérêt à en avoir pour attirer les clients ce weekend, une pénurie serait rédhibitoire

Troisièmement, facteur psychologiques, les habitants garderont une bonne images des commerçants qui auront redoublé d'éffort pour assurer l'approvisionnement, avec les retombées économiques postérieurs que l'on peut attendre.Eux meme sur le plan personnel en tireront un certain prestige et les relais dans la presse le prouvent.

Ainsi la stimulation de l'offre peut etre assurée en dehors de toute augmentation des prix, meme si bien sur, comme le souligne jef, elle ne peut qu'y contribuer.


A l'inverse, par application basique de la théorie des jeux,les commerçants ont tous intérêt à monter leurs prix ,celui qui ne les monte pas perd l'occasion de faire un gros bénéfice, que feront tout ceux qui les montent.

Meme sans pénurie d'ailleurs, le consommateur arrivé dans son épicerie locale, ne va probablement pas comparer les prix avec le voisin en cette situation de crise supposée( d'autant que ceux n'en achetant pas d'habitude, n'ont pas de référence prix)

Dès lors sans controle, les prix vont flamber, sans etre la réponse a un mécanisme d'offre et de demande .En france, on controle les montées subites et temporaires de prix, et sans aucune raison, que le consommateur ne perçoit pas toujours, mais bien lucratives pour les enseignes.

Enfin sur la question de l'allocation optimale, il faut bien prendre en compte la nature particulière du produit, l'utilité est maximale, besoin vital et hygiene minimale; un prix très élevé ne diminuera pas beaucoup la demande.
Le seul risque, c'est une panique de pénurie qui se traduirait par la constitution de stock excessifs et la déclencherai ainsi.
Là le contrôle de l'information est primordial (annoncer un rétablissement prompt du service, quelque soit le temps prévu), alors que les prix , loin de décourager vu la nature du risque, pourraient alimenter la psychose ambiante.


Moralité, un peu de régulation ,ça hydrate l'économie.





(D'ailleurs à yannick: je croyais que l'apparition des files d'attente etait plutot lié à la sortie des nouveaux produits Apple...;)

armand chanel a dit…

c'est un raisonnement doublement spécieux ;
- contrairement à ce que dit le titre qui parle d'expérience natuelle, il ne s'agit ici que d'une "expérience mentale" qui est une simple supposition, avec laquelle je suis en désaccord,
- en effet, on conteste l'argument des régulateurs qui proposent de ne pas profiter de la situation difficile en ne pratiquant pas des " prix abusifs" (dixit), ce qui ne veut pas dire "tout ou rien", càd ne pas augmenter du tout, ou alors au maximum possible ! on peut très bien augmenter le prix en fonction des coûts supplémentaires de production et d'acheminements dont il est question (payer les heures supp des salriés et des dirigeants qui se démènent pour faire face,) ; ici, il y a bien une augmentation régulatrice ( tout travail mérite salaire!)sans pour autant avoir des prix abusifs, entrainant des rationnements douloureux pour les plus pauvres, et enrichissement abusif pour les plus riches, et donc,in fine, un ressentiment général qui corrode la cohésion sociale, et par là, mine l'esprit de confiance sociale et de coopération, ce qui...économiquement contre-productif !! armand chanel