12 oct. 2007

La Révolution industrielle anglaise


Résumé de Farewell to Alms (V)

Survenue en Angleterre entre 1760 et 1860, la révolution industrielle constitue « la rupture la plus importante dans l’histoire de l’humanité depuis le néolithique », écrit Carlo Cipolla. Dans les termes d’Harold Perkin, ce fut « a revolution in men’s access to the means of life, in control of their ecological environment, in their capacity to escape from the tyranny and niggardliness of nature... it opened the road for men to complete mastery of their physical environment, without the inescapable need to exploit each other ».

A partir de 1820, la croissance économique de l’Angleterre devint durablement plus élevée que sa croissance démographique. Pour la première fois dans l’histoire, le progrès technique donnait naissance à un processus d'innovation cumulatif et permettait une élévation continue du niveau de vie (graph. 1).
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Graphique 1. Evolution de la population et des salaires réels, 1280s-1860s

Comment expliquer une telle rupture, après des siècles de stagnation des niveaux de vie ?

Bien entendu, le progrès technique n’est pas apparu avec la révolution industrielle. Simplement, jusqu’au 19ème siècle, les innovations majeures, celles qui contribuaient à élever le niveau de vie du peuple (le moulin à vents, la riziculture irriguée, l’introduction de la pomme de terre, etc.), n’avaient jamais produit d’autres effets que d’élever le nombre des hommes (tableau 1).

Tableau 1. Croissance démographique et progrès technique de 130 000 av. JC à 1800 après JC

De plus, la plupart des innovations technologiques importaient peu aux pauvres, car elles portaient sur des produits qu’ils ne consommaient pas. Rappelons que l’essentiel des revenus allaient alors aux nécessités de la vie : se nourrir, se vêtir, se loger, se chauffer. Ainsi, le prix réel des clous pouvait bien être divisé par six entre 1200 et 1700, l'effet sur le pouvoir d'achat était minuscule.

En revanche, nombre d’innovations ont grandement amélioré la vie des bourgeois. Par exemple, l’invention de l’imprimerie qui permit de réduire par 20 le prix réel des livres entre 1470 et 1670. Ou encore l’introduction des épices, du café, du chocolat, de la soie, les perfectionnements de la verrerie, de l’horlogerie, du papier, de la peinture, des lunettes…

Alors que le niveau de vie moyen était en 1770 au même niveau qu’en 1270, celui d’un bourgeois anglais avait augmenté de 150 % ! (graph. 2)

Graphique 2. Revenu réel de l’anglais moyen et d’un anglais aux goûts modernes (mêmes coef. budgétaires qu’un anglais de 2000)

La grande nouveauté de la Révolution industrielle, ce fut qu’elle donna naissance à un monde où les gains de productivité bénéficiaient aux pauvres. Le salaire réel des ouvriers de la construction a ainsi été multiplié par 15 depuis 1850 (graph. 3).

Graphique 3. Evolution du salaire réel d’un ouvrier de la construction, 1209 - 2004

Le capitalisme s’est révélé une formidable machine à élever le niveau de vie des pauvres :

Certes, l'ouvrier moderne peut acquérir certains biens que Louis XIV aurait été enchanté d'obtenir, sans pouvoir le faire - par exemple, des appareils modernes de prothèse dentaire. Dans l'ensemble néanmoins, les achèvements capitalistes n'auraient guère pu procurer de satisfactions supplémentaires à une personne disposant d'un budget aussi considérable que celui du Roi Soleil. On peut admettre qu'un gentilhomme aussi solennel n'aurait pas attaché grand prix à la faculté même de se déplacer plus rapidement. L'éclairage électrique n'améliore pas grandement le confort de quiconque est assez riche pour acheter un nombre suffisant de chandelles et pour rémunérer des domestiques pour les moucher. Les tissus bon marché de laine, de coton et de rayonne, les chaussures et automobile de série représentent des fruits caractéristiques de la production capitaliste: or, en règle générale, de tels progrès techniques n'ont guère amélioré le sort des riches. La reine Elisabeth possédait des bas de soie. L'achèvement capitaliste n'a pas consisté spécifiquement à accorder aux reines davantage de ces bas, mais à les mettre à la portée des ouvrières d'usine, en échange de quantités de travail constamment décroissantes.

Joseph A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (1947), Payot, 1990

La percée technologique des années 1760-1860 fut réalisée dans l’industrie textile, où la productivité des facteurs fut multipliée par 30 entre 1770 et 1870. Le progrès technique dans le textile explique plus de la moitié des gains de productivité dans l’ensemble de l’économie anglaise pendant la révolution industrielle (tableau 2).

Tableau 2. Sources de la Révolution industrielle anglaise, 1760-1860


Le problème, c’est qu’au même moment, et conformément à ce que prévoit le modèle malthusien, la population anglaise était multipliée par 3 ! Pendant ce temps, la production de l’agriculture anglaise n’augmentait que de 60 % (tableau 3). C’est l’importation de produits agricoles depuis le Nouveau Monde (coton, sucre) et l'exploitation du charbon qui permirent à l’Angleterre de s’extraire définitivement du verrou malthusien (cf. le déterminisme géographique et la divergence économique).

Tableau 3. Croissance de la population anglaise et de l’offre de produits vivriers et autres produits de base


La meilleure analyse des causes géographiques de la révolution industrielle anglaise est dûe à Kenneth Pomeranz :

Un sursaut d’inventivité technologique fut certainement (en fait tautologiquement) une condition nécessaire de la Révolution Industrielle, mais avant d’élever la créativité européenne très au dessus de celle des autres sociétés du 18ème siècle, et d’en faire la cause de la suprématie européenne à venir, nous devrions garder à l’esprit combien cruciaux furent certains accidents de la géographie et certains concours de circonstances, grâce auxquels le charbon et la machine à vapeur devinrent les facteurs décisifs de l’industrialisation. Si, rétrospectivement, l’Europe a misé sur le bon cheval, les facteurs qui expliquent que le pari fut gagnant sont en relation critique avec un ensemble de conditions fortuites et spécifiquement anglaises, essentiellement des conditions géographiques. (...) Aucun de ces facteurs n’auraient joué un rôle aussi significatif s’il n’y avait eu le charbon et les colonies ; sans l’allégement de la contrainte malthusienne qu’ils permirent, les autres innovations n’auraient pu à elles seules créer ce monde nouveau où le fait de disposer d’une quantité finie de terre ne ferait plus obstacle à la croissance infinie des niveaux de vie.

Kenneth Pomeranz, The great divergence, Princeton UP

Outre ce précieux concours de la géographie, la transition démographique, réalisée entre 1880 et 1930, permit que le progrès technique contribue à l’élévation durable du niveau de vie plutôt qu’à celui de la population (graph. 4).
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Graphique 4. La transition démographique

1 commentaire:

Gromovar a dit…

Salut,

J'utilise ta traduction, et celle du camp de prisonnier, avec des élèves de TES à qui je fais une petite option. Merci pour ton travail.