16 déc. 2007

Le rugby et la mondialisation


La professionnalisation du rugby, à partir de 1995, et sa médiatisation croissante (cf. l’augmentation continue de la couverture télévisuelle) appelaient la constitution d’une élite de clubs de très haut niveau. Mais, sans l’arrêt Bosman, les grands clubs, tant de football que de rugby, n’auraient pu recruter à leur guise les meilleurs joueurs partout dans le monde. En 1996, la Cour de Justice européenne a considéré que les règlements de l'Union Européenne de Football, limitant à 3 le nombre de joueurs étrangers par club, étaient contraires à l'article 39 du Traité de Rome sur la libre circulation des travailleurs entre les États membres. Par extension, la jurisprudence Bosman s’applique aussi aux 77 pays ACP ayant signé avec l’UE les accords de Cotonou (dont tous les pays africains). C’est ainsi que, depuis 1996, le marché des joueurs de rugby ou de football est devenu véritablement international.

En théorie, cette nouvelle donne devrait conduire à une concentration croissante des talents et des succès, les clubs les plus riches accaparant les meilleurs joueurs et trustant les titres dans les championnats nationaux et européens.

C’est exactement ce qui s’est passé en football. Si l’on raisonne sur des périodes de cinq ans, le nombre de clubs qualifiés en quart de finale de la Ligue des champions n’a cessé de diminuer depuis vingt ans, le plus fort de la baisse ayant eu lieu ces dix dernières années :

Nombre de clubs ayant accédé aux quarts de finale de la Coupe des Champions

1958-62 : 30
1963-67 : 26
1968-72 : 28
1973-77 : 28
1978-82 : 30
1983-87 : 29
1988-92 : 26
1993-97 : 26
1998-02 : 22
2003-07 : 20

Source : Milanovic 2003, complété par moi

En Championnat de France, le même phénomène est à l’œuvre. Sur les douze saisons 1971-72 à 1982-83, 18 clubs se sont hissés dans le Top 5. Entre 1983-84 et 1994-95, ils étaient encore 17 à se classer aux cinq premières places du championnat. Mais entre 1995-96 et 2006-07, ils n’étaient plus que 14.

« La raison de cette concentration au sommet est évidente, explique Branko Milanovic. Les clubs les plus riches sont désormais capables d'attirer les meilleurs joueurs du monde ». Pareille concentration des talents amène celle des succès, en raison de ce que les économistes appellent des rendements d'échelle croissants : « lorsque les meilleurs joueurs évoluent ensemble, la qualité de chacun, et de toute l'équipe, augmente de façon exponentielle. Quand Ronaldinho et Messi jouent ensemble, leur "production" globale (le nombre de buts) est supérieure à la somme des buts que chacun marquerait s'il jouait dans un club différent avec des joueurs moins talentueux ».

Qu’en est-il en rugby ? Si l’on étudie le palmarès du championnat de France depuis 1972, on observe que sur la période 1972 – 1983, 25 clubs ont accédé aux huitièmes de finale ; sur la période 1984 – 1995, on en comptait encore 23 ; et puis, sur la période 1996 - 2007, le nombre de clubs qualifiés en huitième de finale est tombé à 19. Le temps où l’on voyait dans le Top 16 des équipes comme La Voulte, Graulhet, Bagnères de Bigorre, Tulle, Lourdes ou Romans, est définitivement révolu.

Le même phénomène se retrouve en Coupe d’Europe de Rugby, où le nombre de clubs accédant aux quarts de finale est passé de 23 sur la période 1997 – 2002 à 17 pour la période 2003 – 2007.

Mais, tandis que les inégalités se creusent entre les équipes de clubs, c’est l'inverse qui se produit entre les équipes nationales, par exemple en coupe du monde de football. A ce niveau, il n’y a plus désormais de petites équipes. Lors des cinq dernières compétitions, un quart des équipes présentes en quarts de finale y accédait pour la première fois de leur histoire. Au niveau des matchs de poule qualificative, les écarts de buts entre les équipes sont tombés à un niveau très faible (1,3 buts par match en moyenne), et ceci malgré le fait que la Coupe du Monde accueille désormais 32 équipes au lieu de 24 précédemment (voire 16 jusqu’en 1978).

Ecart moyen de buts par match lors du premier tour (match de poules)

1970 : 2,19
1974 : 2,00
1978 : 2,00
Moy. : 2,06
(16 équipes)

1982 : 1,57
1986 : 1,33
1990 : 1,33
1994 : 1,36
Moy. : 1,40
(24 équipes)

1998 : 1,29
2002 : 1,33
2006 : 1,48
Moy.
: 1,37
(32 équipes)
.
Cette convergence entre les équipes nationales, Branko Milanovic l’explique par deux raisons. En premier lieu, la mondialisation permet aux bons joueurs des petites nations de se frotter aux meilleurs joueurs du monde, dans les grands championnats. Il est clair qu’un bon joueur coréen ou camerounais progresse plus s'il rejoint Manchester United ou Barcelone que s’il était resté dans son pays. En second lieu, les règles de la FIFA interdisent aux joueurs de jouer pour une autre équipe nationale que celle de leur passeport. Ainsi, Didier Drogba peut jouer dans le club de son choix (il est actuellement à Chelsea), mais en Coupe du Monde des Nations, il ne peut jouer qu’avec l’équipe de Côte d’Ivoire [nb: depuis janvier 2004, la FIFA permet à un joueur disposant de la double nationalité de changer d’équipe nationale, mais il doit pour cela avoir moins de 21 ans et n’avoir jamais joué dans l’équipe nationale du premier pays]. Cette règle permet aux petits pays du football de profiter des retombées de la mondialisation, en captant une partie des bénéfices de l’élévation du niveau de jeu.
.
Qu’en est-il en rugby ? La Coupe du Monde n’a connu que cinq éditions depuis 1987. C’est peu pour tirer des conclusions, d’autant que l’Afrique du Sud, l’une des grandes nations de ce sport, était interdite de compétition en 1987 et en 1991 (pour cause d’apartheid). Il reste qu'on ne discerne pas vraiment de convergence entre les petites et les grandes nations du rugby. Lors des trois premières éditions de la Coupe du Monde, 11 équipes ont accédé aux quarts de finales ; lors des trois dernières, ce fut le cas de 10 équipes. D'un autre côté, l’écart moyen de points par match en quarts de finale a diminué, passant de 16,33 points en moyenne sur les trois premières éditions à 14 pour les trois dernières. En 2007, l'écart est même tombé au minimum historique de 7 points par match !

Il est plus délicat de faire des comparaisons pour les matchs de la phase éliminatoire, puisque le nombre d’équipes invitées a augmenté de 16 à 20. Cela dit, l’écart de points entre les équipes qui se sont affrontées en poules qualificatives a plutôt augmenté :

1987 : 26.7 points
1991 : 20.4 points
1995 : 27.1 points
1999 : 33.2 points
2003 : 36.2 points
.
On se souvient qu’en 2003, l’Australie a battu la Namibie sur le score de 142 à 0 ! Le précédent record datait de 1995, lorsque la Nouvelle Zélande battit le Japon par 145 à 17. Avec la Coupe du Monde 2007, les écarts se resserrent, mais il est encore trop tôt pour déceler d'un début de convergence : l’écart moyen est tombé à 30,2 points.

Pourquoi les mêmes causes n’ont-elles pas produit en rugby les mêmes effets qu’en football ? Il est vrai qu’à la différence du football, le rugby a conservé la règle qui interdit de faire jouer plus de deux joueurs étrangers par match. Mais, arrêt Bosman oblige, cette règle ne s’applique plus aux joueurs ressortissants de l’UE, ou d’un Etat ayant signé un accord d’association avec la France ou l’UE. Par exemple, elle ne s’applique pas à des pays comme l’Afrique du Sud, la Namibie, les îles Fidji, Samoa, et Tonga (tous pays ACP), ni même à la Géorgie. En revanche, pour jouer en équipe nationale, la règle est la même que celle de la FIFA: un joueur possédant la double nationalité ne peut jouer dans une équipe nationale s’il a déjà joué dans une autre équipe nationale (cf. ici).

Non, la véritable différence avec le football est ailleurs. En rugby, la mondialisation et la professionnalisation n’en sont encore qu’à leurs débuts. Sans doute verra-t-on un jour de nouvelles nations accéder à l’élite : l’Argentine aujourd’hui, la Georgie ou l’Italie demain. Mais, autant le Football est un sport très populaire dans presque tous les pays du monde (USA exceptés), autant la pratique populaire du rugby demeure confinée à une douzaine de pays (cf. la Carte du rugby dans le monde). Aussi longtemps que les enfants japonais, canadiens, américains, italiens, espagnols, polonais, russes, allemands… ne rejoindront pas en plus grand nombre les écoles de rugby, la mondialisation de ce sport restera limitée.


Bibliographie

Branko Milanovic, économiste à la fondation Carnegie :
Le foot, industrie sans frontières, Le Monde, 7 juillet 2006 :
Globalization and Goals : does soccer shows the way ? -- Working Paper, dec. 2003

Jean-Pierre Augustin :
Le rugby : une culture monde territorialisée, revue Outre-terre

Les données qui ont servi de base pour les calculs viennent de Wikipédia :

¤ Sur le Rugby

Données sur la Coupe du Monde
Données sur la Coupe d'Europe des clubs
Données sur le championnat de France

¤ Sur le Football

Données sur la Coupe du Monde
Données sur la Coupe d'Europe des clubs
Données sur le championnat de France

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a beaucoup d'approximations dans tout cela:
Au cours des années 90, le règlement de la ligue des champions a changé. En adoptant des formules de poules et un mode de tirage au sort protégeant les grosses équipes, on a nécessairement diminué les chances des petits d'aller en quart de finale. A partir de 97, les plus fortes nations ont eu plusieurs représentants(alors qu'il n'y en avait qu'un seul auparavant), ce qui a rendu plus probable le fait de jouer régulièrement dans la coupe d'Europe.
La diminution de l'écart entre les équipes au premier tour d'une coupe du monde est en partie expliquée par la diminution du nombre de buts par match, lui-même lié à l'adoptions de tactiques plus défensives.
En rugby, la nationalité ne détermine pas l'équipe nationale dans laquelle on joue. Des joueurs de nationalité sud-africaine ou néo-zélandaise comme De Villiers ou March ont joué pour l'équipe de France.
Ceci explique en partie les difficultés des petites nations, en particulier du Pacifique: les meilleurs joueurs fidjiens, samoans ou tongiens jouent pour la Nouvelle Zélande.

Anonyme a dit…

encore heureux..ce rugbyman français un jour a la tv: depuis que nous prenons de la créatine(produit dopant)nous faisons le poids face a des equipes comme les hall -blacks..dans le milieu du rugby il y a encore des gens honnetes qui lui reconnait prendre des dopants,tout est decidément verolé!mais au nom de quoi font ils ça tous ces tricheurs-menteurs?
tout ça pour dire en fait que ça me debecte énormément toutes les bassesses des gens tranparaissantes