Le développement marche sur deux jambes : il lui faut à la fois les incitations d'un Marché libre et les institutions d'un Etat de droit. Les économistes libéraux savent bien que la liberté économique ne suffit pas, et que le marché fonctionne d'autant mieux quand il est encadré par de bonnes institutions. D'Adam Smith à Douglas North, c'est là une affaire entendue depuis déjà longtemps... Si débat il y a, il porte plutôt sur les questions suivantes : quelles institutions ? et comment les acquérir ?
- Quelles institutions ?
Le marché n'a jamais cessé d'être "encastré" dans des arrangements institutionnels particuliers, construits spontanés ou artificiels, produits d'une histoire et d'une expérience singulières. Simplement, comme North l'a montré dans "The rise of the western world", certaines institutions se sont révélées à l'usage plus développantes que d'autres : en particulier, ces institutions qui ont permis l'essor de l'économie de marché et la révolution industrielle.
Rétrospectivement, qu'il s'agisse de la protection des droits de propriété et des contrats, de la stabilisation macroéconomique, de la régulation des conflits, de filets de sécurité pour les pauvres et les chômeurs, de la réglementation de la concurrence, de la création des sociétés par action, de l'organisation d'un marché du capital, de la supervision de l'activité bancaire, ... toutes ces institutions paraissent utiles et souhaitables. Sur le principe, le consensus paraît acquis.
Malheureusement, le diable est dans les détails. Par exemple, un système de protection sociale est bien difficile à mettre en place dans des pays où la majorité des gens sont pauvres. Nous oublions souvent que notre Etat-Providence est l'enfant de la croissance. Les systèmes traditionnels de solidarité sont très imparfaits, et mis à mal par le processus de "modernisation" ; quant aux protections mises en place par les Etats du Tiers-Monde, les pauvres en sont généralement exclus, et c’est autant de moins pour les infrastructures, la santé publique et l'éducation...
De façon générale, l'intervention publique est contreproductive dans des Etats patrimonialisés à l'extrême, gangrenés par la corruption. Quand les services publics sont privatisés de fait, leur privatisation de droit peut apparaître comme un moindre mal...
- Comment les acquérir ?
Idéalement, chaque nation devrait pouvoir s'équiper, au cours d'un processus d'essais et d'erreurs, des institutions pro-marché adaptées à son état social. Mais pour y parvenir, il n'y a pas une recette unique.
L'exemple de la Chine, et plus généralement de l'Asie du Sud-Est, paraît plaider en faveur du gradualisme et de l'expérimentalisme ; inversement, l'exemple du Thatchérisme ou de la Russie montre qu'à moyen terme la thérapie de choc porte ses fruits ; l'exemple de la Pologne suggère qu'importer des institutions clefs en main peut faire gagner du temps.
En tout état de cause, pour développer chez soi les institutions pro-marché les mieux adaptées à son état social, une nation doit pouvoir s'appuyer sur de bonnes institutions politiques. Malheureusement, personne n'a encore trouvé la recette pour équiper un "Etat sous-développé" d'institutions politiques développantes (cf. annexe 1).
Selon Dany Rodrick, la démocratie serait cette recette miracle. Mais la démocratie de se décrète pas, elle suppose un apprentissage long et parfois douloureux (cf. les "difficultés" des transitions démocratiques qu'ont connues de nombreux pays) ; et ça ne suffit pas toujours (cf. Mancur Olson, The Rise and Decline of Nations, sur la sclérose de certaines sociétés démocratiques, otages des lobbies : la Grande-Bretagne d'avant Lady Thatcher ; le Japon ou la France aujourd’hui).
Finalement, tout cela pose le problème du développement politique. On l'oublie trop souvent : si l'Etat est un acteur essentiel du développement, il en est d'abord le produit...
- Quelles institutions ?
Le marché n'a jamais cessé d'être "encastré" dans des arrangements institutionnels particuliers, construits spontanés ou artificiels, produits d'une histoire et d'une expérience singulières. Simplement, comme North l'a montré dans "The rise of the western world", certaines institutions se sont révélées à l'usage plus développantes que d'autres : en particulier, ces institutions qui ont permis l'essor de l'économie de marché et la révolution industrielle.
Rétrospectivement, qu'il s'agisse de la protection des droits de propriété et des contrats, de la stabilisation macroéconomique, de la régulation des conflits, de filets de sécurité pour les pauvres et les chômeurs, de la réglementation de la concurrence, de la création des sociétés par action, de l'organisation d'un marché du capital, de la supervision de l'activité bancaire, ... toutes ces institutions paraissent utiles et souhaitables. Sur le principe, le consensus paraît acquis.
Malheureusement, le diable est dans les détails. Par exemple, un système de protection sociale est bien difficile à mettre en place dans des pays où la majorité des gens sont pauvres. Nous oublions souvent que notre Etat-Providence est l'enfant de la croissance. Les systèmes traditionnels de solidarité sont très imparfaits, et mis à mal par le processus de "modernisation" ; quant aux protections mises en place par les Etats du Tiers-Monde, les pauvres en sont généralement exclus, et c’est autant de moins pour les infrastructures, la santé publique et l'éducation...
De façon générale, l'intervention publique est contreproductive dans des Etats patrimonialisés à l'extrême, gangrenés par la corruption. Quand les services publics sont privatisés de fait, leur privatisation de droit peut apparaître comme un moindre mal...
- Comment les acquérir ?
Idéalement, chaque nation devrait pouvoir s'équiper, au cours d'un processus d'essais et d'erreurs, des institutions pro-marché adaptées à son état social. Mais pour y parvenir, il n'y a pas une recette unique.
L'exemple de la Chine, et plus généralement de l'Asie du Sud-Est, paraît plaider en faveur du gradualisme et de l'expérimentalisme ; inversement, l'exemple du Thatchérisme ou de la Russie montre qu'à moyen terme la thérapie de choc porte ses fruits ; l'exemple de la Pologne suggère qu'importer des institutions clefs en main peut faire gagner du temps.
En tout état de cause, pour développer chez soi les institutions pro-marché les mieux adaptées à son état social, une nation doit pouvoir s'appuyer sur de bonnes institutions politiques. Malheureusement, personne n'a encore trouvé la recette pour équiper un "Etat sous-développé" d'institutions politiques développantes (cf. annexe 1).
Selon Dany Rodrick, la démocratie serait cette recette miracle. Mais la démocratie de se décrète pas, elle suppose un apprentissage long et parfois douloureux (cf. les "difficultés" des transitions démocratiques qu'ont connues de nombreux pays) ; et ça ne suffit pas toujours (cf. Mancur Olson, The Rise and Decline of Nations, sur la sclérose de certaines sociétés démocratiques, otages des lobbies : la Grande-Bretagne d'avant Lady Thatcher ; le Japon ou la France aujourd’hui).
Finalement, tout cela pose le problème du développement politique. On l'oublie trop souvent : si l'Etat est un acteur essentiel du développement, il en est d'abord le produit...
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Pour toutes ces raisons, l'agenda "néolibéral" est aujourd'hui l'unique carte à jouer des pays pauvres (cf. annexe 2). Moyennant quoi, pour peu qu'on parte du monde tel qu'il est, et qu'on tire les leçons de l'expérience, on n'est pas si éloigné qu'il y parait du "consensus de Washington", souvent brocardé mais rarement compris.
Références
Dany Rodrick : Institutions for High-Quality Growth - What They Are and How to Acquire Them (pdf), Oct. 1999. Getting Institutions Right (pdf), April 2004. A user's guide to the recent literature on institutions and growth. Economic Development as Self-Discovery (pdf, with Ricardo Hausmann), April 2003.
Et le colloque tenu à Harvard sur le rôle des Institutions dans le processus de développement (sept. 2001), not. l'introduction et les intéressantes études sur la Chine, l'Inde et le Botswana ; il est amusant de constater combien le point de vue "progressiste" de Rodrick rappelle celui d'Hayek et des vieux libéraux, d'orientation conservatrice, qui opposaient le "développement spontané" au "développement transféré"...
Sur la corruption en Afrique : cf. Politique Africaine, Oct. 2001 : "la corruption au quotidien" (not. l'article principal, de Sardan et Blundo, sur "la corruption quotidienne en Afrique de l'Ouest").
Sur le rôle des institutions dans le développement de l'Occident : outre Adam Smith (cf. ici), on peut citer les travaux de Douglass North (ici), les ouvrages classiques d'Eric Jones : The European Miracle, de Nathan Rosenberg & L.E. Birdzell : How the West grew rich, et le Richesse et Pauvreté des Nations, de David Landes.
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Enfin, de John Williamson, l'inventeur du "consensus de Washington", cet article dans Finances et Développement : Consensus de Washington : un bref historique et quelques suggestions (pdf)
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Annexe 1
Poverty in the Midst of Plenty - Douglass C. North
Poverty in the Midst of Plenty - Douglass C. North
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We live in a world where some countries enjoy a material abundance beyond the wildest dreams of our forefathers. Such countries are rich because they are productive. The sources of that productivity – growing markets, technological improvement, and investment in human beings (human capital) – all play an important part in increasing productivity. … By any standard of measurement much of the world's population is still poor, with individuals subsisting on less than two dollars a day. … How do we account for the persistence of poverty in the midst of plenty? If we know the sources of plenty, why don't poor countries simply adopt policies that make for plenty? The answer is straightforward. We just don't know how to get there. We must create incentives for people to invest in more efficient technology, increase their skills, and organize efficient markets. Such incentives are embodied in institutions. Thus we must understand the nature of institutions and how they evolve.
Institutions are the framework that humans create to structure human interaction. They are made up of formal rules (constitutions, laws, and regulations) and informal constraints (conventions and norms of behavior) and the way both are enforced. Well-specified property rights that reward productive and creative activity, a legal system that enforces such laws at low cost, and internal codes of conduct that are complementary to such formal rules are the essential underpinning to productive economies. But well-specified property rights and an effective legal system are the creation of the political structure. Unfortunately, we do not know how to put such a political structure in place. Informal norms of behavior that make for honesty, integrity, and hard work are the product of long-term human interaction; we do not know how to create them in the short run. The result has been that efforts to improve the performance of poor countries have been something less than a rousing success.
Hoover Institution 2001
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Annexe 2
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Prosperity happens when all the players in the development game have the right incentives. It happens when government incentives induce technological adaptation, high-quality investment in machines, and high-quality schooling. It happens when donors face incentives that induce them to give aid to countries with good policies where aid will have high payoffs, not to countries with poor policies where aid is wasted. It happens when the poor get good opportunities and incentives... It happens when politics is not polarized between antagonistic interest groups, but there is a common consensus to invest in the future. Broad and deep development happens when a government that is held accountable for its actions energetically takes up the task of investing in collective goods like health, education, and the rule of law...
William Easterly, The Elusive Quest for Growth : Economists' Adventures and Misadventures in the Tropics (2001)
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