18 avr. 2006

L’Etat-Providence et la Croissance

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Dans un ouvrage récent (*), l'historien de l'économie Peter Lindert montre comment l'Etat-Providence a pu se développer dans les nations occidentales, en Europe surtout, sans hypothéquer la croissance.

Jusqu'à présent, soutient-il, et contrairement aux prophéties lugubres de Malthus et Ricardo, l'Etat-Providence s’est avéré un « free lunch ». Les coûteux avantages sociaux, et les niveaux élevés de prélèvements sociaux qui en ont résulté, n'ont pas entravé la croissance. Comment est-ce possible ? La théorie économique et le bon sens ne suggèrent-ils pas que des impôts élevés et des revenus sociaux généreux réduisent l'entrepreneurship et la prise de risque, les incitations au travail, à l’épargne et à l'investissement ?

Lindert avance trois explications :

- primo, certaines dépenses sociales contribuent à la croissance (eg, les dépenses pour l'éducation) ;

- secundo, le mode de taxation adopté pour financer la redistribution a été progressivement adapté de façon à minimiser ses effets désincitatifs : ainsi, en Europe, les taux effectifs de taxation sont les plus élevés sur la consommation (en particulier sur l'alcool, le tabac, l'essence) ; les revenus de travail sont plus imposés que ceux du capital ; le taux maximum de l’impôt sur le revenu a été fortement réduit depuis vingt ans, ainsi que le taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Résultat : notre système de prélèvements obligatoires est relativement neutre pour la croissance, bon pour la santé, écologiquement friendly... et globalement dégressif !

Average Effective Tax Rates 1991-1997
versus the Social Transfer Share of GDP 1995

Source : Peter Lindert, op. cit.

- tertio, les effets désincitatifs de la redistribution ont un impact limité sur la croissance. Certes, un système de protection sociale généreux se paie d’un moindre taux d'emploi, mais cela affecte surtout les travailleurs les plus âgés et les moins qualifiés, ceux dont la contribution au revenu national est la plus modeste. Ensuite, les prestations sociales ont été progressivement modifiées pour préserver l’incitation à travailler : en France par exemple, l’allocation logement versée au Smicard est désormais plus élevée que celle versée au Rmiste, et certaines prestations sont temporairement maintenues quand le bénéficiaire retrouve un emploi. Enfin, un système d’impôt négatif (la prime pour l’emploi en France, l’Earned income tax credit aux USA) a été introduit un peu partout, qui tend à augmenter le revenu du travail relativement aux revenus d’assistance.

On peut toutefois disputer que l’Etat-Providence soit aujourd'hui un free lunch. Il n'est que de comparer le niveau de vie des américains avec celui des européens.

Source : Gilbert Cette et al.: Productivité horaire et PIB par tête aux États-Unis et en France (Banque de France, 2004)

En 2002, le niveau de vie des français (PIB pc en $ ppa) représente 73% de celui des américains, alors même que la productivité horaire des premiers est supérieure de 8% à celle des seconds (cf. tableau). Cela tient au fait que les français sont moins nombreux à travailler (leur taux d'emploi est inférieur de 12%) et travaillent moins longtemps (leur durée annuelle du travail est inférieure de 23%).

PIB/Population = Productivité horaire x durée du travail x Emploi/Population
Soit en Indices (base 100 = Etats-Unis) : 73 = 108 x 77 % x 88 %

Par delà une hypothétique préférence française pour le loisir (l'arbitrage travail/temps libre est décidé par le gouvernement !), force est de constater qu'en raison d'un Etat-Providence plus pesant, le travail est comparativement moins bien récompensé, et le non travail comparativement mieux rémunéré, en France qu'en Amérique. A l'évidence, ces faits sont de nature à expliquer, au moins en partie, le déclin relatif de l’Europe continentale depuis une douzaine d'années.
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Rapport au CAE, Politique économique et croissance en Europe, par Philippe Aghion et al. 2006


La faiblesse de la croissance en Europe est d'autant plus fâcheuse que l'Etat-Providence marche à la croissance, et qu'il va devoir rapidement s'adapter à un choc inédit : le papy-boom. Sans le grain à moudre de la croissance, l'Etat-Providence risque de devenir une foire d'empoigne, le lieu privilégié de la lutte de tous contre tous -- ou dans les mots de Bastiat, "la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde".

(*) Peter Lindert : "Growing Public: Social Spending and Economic Growth Since the Eighteenth Century”. Cambridge University Press, 2004. La plupart des données et une synthèse se trouvent sur le site de l'auteur.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

The question of whether GDP is a good measure of quality of life ought to be brought into the equation : US GDP includes a lot of fat fast food, gas-guzzlers, malpractice lawsuits insurance premiums, artificial needs, process inefficiencies. C'est un pont-aux-anes, mais un vrai probleme de mesure, surtout entre pays developpes where quality of life makes a difference in addition to satisfaction of physical needs.