19 mars 2006

Le traitement de la difficulté scolaire

Les chercheurs de la DEP (Ministère de l'Education nationale) ont fait une découverte stupéfiante : les élèves redoublants sont moins bons que les autres !

Plus précisément, les élèves qui ont redoublé réussissent moins bien que ceux n'ayant jamais redoublé ; et c'est d'autant plus vrai que le redoublement est plus précoce. Ainsi, moins de 10 % des élèves qui ont redoublé leur CP obtiennent le Bac ; c'est le cas de 75 % des redoublants de seconde, et de 83-84 % des redoublants de Première ou Terminale -- vs 100 % pour les élèves qui ont décroché leur Bac sans avoir jamais redoublé...

Et Le Monde de titrer : "Le redoublement accroît le risque d'échec scolaire" ! L'idée que l'échec scolaire puisse augmenter le risque de redoublement ne lui est pas venue à l'esprit !

Selon la journaliste, les chiffres cités démontreraient "l'inefficacité" et les "effets pénalisants" du redoublement. Partant, il conviendrait de développer d'autres modes de "traitement de la difficulté scolaire".

Justement, ce ne sont pas les innovations pédagogiques qui ont manqué depuis vingt ans ! Citons "l'aide individualisée", "l'aide personalisée", le "soutien scolaire", les "réseaux d'aides spécialisés", le "tutorat", les "classes de consolidation", les "quatrième et troisième technologiques", la "quatrième d'aide et de soutien", la "troisième d'insertion", les "classes de remise à niveau", les "classes-relais", les "SEGPA"...

On aura reconnu dans ces différentes formules les deux modes privilégiés d'adaptation des organisations bureaucratiques : la "sublimation percutante" et l'"arabesque latérale", décrites dès 1969 par Laurence Peter dans le contexte américain.


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En 1969, Laurence Peter portait sur le lycée américain un diagnostic qui vaudrait aujourd'hui pour le lycée français.

A l’issue du High School Movement, la très grande majorité des jeunes américains fréquentaient désormais le lycée. Pour éviter de multiplier les redoublements, les lycées américains usaient et abusaient d’une technique : la "sublimation percutante". En clair, les élèves parvenus à leur "niveau d'incompétence" étaient tout bonnement "renvoyés vers le haut".

Pour enrayer ce mouvement de "régression hiérarchique", Laurence Peter prescrivait un remède qui répondait au joli nom d’"arabesque latérale" : en gros, pour résoudre les difficultés des élèves en difficulté, il suffirait de les déplacer vers des formations où ils ne seraient plus en difficulté.

Le problème

Le vieux système scolaire désuet était une expression pure du principe de Peter.

Un élève est promu, classe par classe, jusqu'à ce qu'il atteigne son niveau d'incompétence. Alors il doit redoubler, c'est- à- dire demeurer à son niveau d'incompétence. Dans certains cas, et parce que l'enfant se développe mentalement, sa compétence intellectuelle s'accroîtra pendant l'année de redoublement, et il pourra alors obtenir une nouvelle promotion et passer dans la classe supérieure. S'il échoue, il redoublera encore.

Les directeurs d'école et les professeurs n'aiment plus ce système ; ils pensent que l'accumulation d'élèves incompétents nuit au bon renom de l'école. Un administrateur m'a dit : " J'aimerais pouvoir faire passer tous les cancres et recaler les intelligents ; ainsi le niveau serait haussé et les classes progresseraient. Ce stockage de cancres abaisse le niveau en réduisant la moyenne de mon école. "

Une politique aussi paradoxale ne sera certainement pas admise. Donc, pour éviter l'accumulation des incompétents, les administrateurs ont imaginé de promouvoir tout le monde, les incompétents comme les compétents ! Ils justifient psychologiquement cette idée en disant que cela évite aux enfants d'être traumatisés par l'échec.

En fait, ils appliquent la sublimation percutante aux élèves incompétents.

Le résultat de cette sublimation en gros, c'est que la classe terminale du lycée représente aujourd'hui le même niveau intellectuel que la classe de seconde d'il y a peu de temps. (...) C'est ainsi que les certificats et les diplômes perdent leur valeur en tant qu'étalons de compétence. Avec l'ancien système nous savions qu'un élève qui ne " passait " pas en cinquième avait dû être au moins compétent en sixième. Nous savions que l'étudiant qui échouait en première année d'université avait dû être au moins un bon élève de lycée, etc.

Mais à présent, c'est fini. Le diplôme moderne prouve simplement que l'élève a eu la compétence de supporter un nombre donné d'années d'études. J'appelle ce phénomène la régression hiérarchique. (...) La régression hiérarchique dans l'enseignement est provoquée par une sublimation percutante massive des élèves qui, autrefois, auraient eu droit à l'échec.
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La solution

Je propose, pour remplacer la sublimation percutante, d'appliquer à ces mêmes élèves une arabesque latérale.

Aujourd'hui, un élève qui " échoue " en cinquième est sublimé à la quatrième. Avec mon plan, il serait arabesqué de la cinquième à une classe de mettons... d'études académiques en profondeur. Il pourrait alors refaire son travail de l'année, en étudiant plus particulièrement les matières dans lesquelles il a échoué. Son évolution intellectuelle et, avec un peu de chance, un meilleur enseignement, le prépareront peut- être à l'accession en quatrième.

Sinon, ses parents ne pourraient guère se formaliser de le voir " gagner " un diplôme d'études académiques supérieures. Eventuellement, si l'élève n'a pas fait de progrès quand il atteint l'âge de terminer ses études, il recevra un diplôme de fin d'études académiques.

Ainsi, l'arabesque latérale lui permet de s'en tirer par un biais. Elle n'intervient pas dans l'instruction des élèves qui continuent de progresser, et ne diminue en rien la valeur des certificats et diplômes normaux qu'ils reçoivent. Cette technique a fait ses preuves avec les adultes ; alors pourquoi ne pas l'appliquer dans le domaine de l'enseignement ?


Laurence J. PETER et Raymond HULL : Le Principe de Péter, 1969.

Glossaire

Principe de Peter : " Dans une hiérarchie, chaque employé tend à s'élever jusqu'à son niveau d'incompétence ".

Sublimation percutante : le fait pour un incompétent d'être "renvoyé vers le haut".
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Arabesque latérale : pseudo-promotion consistant en un déplacement latéral de l'incompétent au fin de minimiser sa capacité de nuisance ; lui est alors attribué un nouveau titre et un nouveau bureau.

Régression hiérarchique : survient lorsque, dans une hiérarchie, les promotions deviennent indépendantes de la compétence.

Sources:

Cf. le CR du Monde, en date du 28 Mai 2004 : Le redoublement accroît le risque d'échec scolaire (pdf). L'étude du Ministère "Le redoublement à l’école élémentaire et dans l’enseignement secondaire : évolution des redoublements et parcours scolaires des redoublants au cours des années 1990-2000" (pdf) est parue dans la revue Éducation & formations, juin 2004.

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