Ex-agent du Komintern, Jacques Rossi a passé 24 ans au goulag. "Qu'elle était belle cette utopie" (Le cherche midi, 1997) est le récit de ces années. Ecrit sans haine, d'une plume alerte, à la manière des Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, le livre se clôt avec ces mots :
"Il y a 70 ans, je me suis engagé corps et âme dans le mouvement communiste, sincèrement persuadé de défendre la cause de la justice sociale, à laquelle je me suis toujours attaché. Ayons le courage de le reconnaître : je me suis fourvoyé. Et il est de mon devoir de mettre en garde les honnêtes gens : Attention ! Ne vous engagez pas sur cette voie qui aboutit fatalement à une catastrophe économique, sociale, politique, culturelle, écologique... Peut-être que, sans mes années de goulag, j'aurai eu du mal à le comprendre."
A ceux qui voudraient distinguer entre l'intention et les conséquences, entre la "belle utopie" et les crimes commis en son nom, Jacques Rossi rétorque qu' "on juge une révolution comme un arbre, d'après ses fruits". Et comme, "depuis 1917, tous les régimes communistes ont été des régimes criminels" (L'Histoire, octobre 2000), il nous faut bien admettre que le mal est dans la "cause", et que la violence des conséquences est toute entière contenue dans la violence de l'intention...
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Extrait: Pourquoi le communisme ne peut pas marcher
C'est déjà la troisième fois que nos chemins se croisent. La première, c'était dans la cale d'une péniche. Nous étions plus d'un millier, serrés comme des sardines, en route vers le nord. Au bout de dix-sept ou dix-huit jours, on nous avait débarqués sur une berge déserte, dans la toundra arctique. Le camp de Norilsk. J'avais la sensation glaçante d'être projeté à l'extrême bout du monde. Coupé de tout. Alors que beaucoup de mes compagnons d'infortune ne se laissaient pas impressionner par ce nouveau malheur, un parmi tant d'autres. Un homme, surtout, m'avait frappé. Une barbe hirsute, poivre et sel. L'air parfaitement indifférent. Je l'ai retrouvé trois ans plus tard, dans une équipe de terrassiers. Toujours aussi calme, aussi impassible. J'étais impressionné par l'aisance avec laquelle il maniait la pioche et la barre de fer de mine. A l'occasion de l'appel, j'ai appris son nom : Sémione lévlampiévitch.
C'est déjà la troisième fois que nos chemins se croisent. La première, c'était dans la cale d'une péniche. Nous étions plus d'un millier, serrés comme des sardines, en route vers le nord. Au bout de dix-sept ou dix-huit jours, on nous avait débarqués sur une berge déserte, dans la toundra arctique. Le camp de Norilsk. J'avais la sensation glaçante d'être projeté à l'extrême bout du monde. Coupé de tout. Alors que beaucoup de mes compagnons d'infortune ne se laissaient pas impressionner par ce nouveau malheur, un parmi tant d'autres. Un homme, surtout, m'avait frappé. Une barbe hirsute, poivre et sel. L'air parfaitement indifférent. Je l'ai retrouvé trois ans plus tard, dans une équipe de terrassiers. Toujours aussi calme, aussi impassible. J'étais impressionné par l'aisance avec laquelle il maniait la pioche et la barre de fer de mine. A l'occasion de l'appel, j'ai appris son nom : Sémione lévlampiévitch.
Aujourd'hui, bien des années plus tard, nous voilà couchés à même le sol, coincés sous les bat-flanc d'une baraque disciplinaire. Les bat-flanc, eux, sont occupés par les voyous et les truands, comme c'est la règle. On échange des informations. J'apprend qu'avant le coup d'Etat d'octobre 1917, Sémione lévlampiévitch faisait partie des « Tolstoïens », un mouvement assez confus de paysans influencés par les enseignements de Tolstoï. Sa première expérience du Goulag remonte au début des années trente, lors de la collectivisation forcée. A peine libéré, il a été happé par la Grande Purge de 1937. Il en a pris pour dix ans.
Il a immédiatement décelé en moi un étranger, un fils à papa, et communiste, par-dessus le marché. Dans sa grande générosité, non seulement il ne m'en veut pas, mais il m'explique avec indulgence que l'idéal marxiste-léniniste est une chimère irréalisable. Pourquoi ? Parce que les mains de l'homme sont faites comme ça...
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... Toujours tirer vers soi.
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¤ Extraits de son Manuel du Goulag (Le cherche-midi, 1996) :
A l'entrée "Communisme" :
"Ici c'est le communisme, vous ne possédez plus rien". C'est ainsi que les truands accueillent les nouveaux dans les camps.
2 commentaires:
Il faut absolument lire les "récits de la Kolyma" !
http://dndf.over-blog.com/article-1193819.html
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