2 mars 2008

Bonheur privé, action publique

Résumé de l'ouvrage « BONHEUR PRIVE, ACTION PUBLIQUE », d’Albert O. Hirshman.

« Donnez à un homme tout ce qu’il désire, sur le champ, il lui paraîtra que ce tout n’est pas tout » (KANT).


L’individu pense désirer ceci et, l’ayant obtenu, découvre qu’il ne le désirait pas tant que ça, qu’il désirait en fait autre chose. Il est dans la nature de l’homme de se tromper : « errare humanum est ».

Qu’il s’agissent d’affaires privées (comme la consommation) ou d’affaires publiques (comme la participation politique) les actions des citoyens-consommateurs portent en elles mêmes « les germes de leur propre destruction ». Dans tous les cas, la déception est au bout de l’expérience.

I

L’individu vit alternativement des moments de frustration et des périodes d’ennui. L’acte de consommation est alors le moyen de pallier l’inconfort né tantôt du sentiment d’un manque, tantôt du sentiment d’un vide. Il procure plaisir et confort. Mais parce que « le plaisir est le sentiment éprouvé lors du passage de l’inconfort au confort », on accède à ce dernier quand le plaisir n’est plus. Voilà pourquoi accéder au confort ouvre la voie à la déception.

Un réfrigérateur procurera du plaisir à qui découvre le bonheur du « servir frais » ; avec l’habitude, le confort s’installe, mais le plaisir disparaît. De même, le plaisir de conduire cède progressivement la place à un usage plus utilitaire du véhicule ; d’où la vogue des automobiles de luxe, qui offrent à leur propriétaire le plaisir durable de paraître.

Les services de l’Etat-Providence n'échappent pas à la règle. L’entrée du fils à l’université, la prise en charge médicale du vieux père ne font plus dire au français moyen : « c’est beau le Progrès » ; cela va désormais de soi. L’accès de tous aux biens marchands de la Société de Consommation et aux biens collectifs de l’Etat-Providence a développé des habitudes de confort, mais ne procure plus de plaisir.

Il peut alors en résulter un mouvement de recul questionnant le bien fondé d’une quête du bonheur axée sur la consommation. Déjà au 18ème siècle, Adam SMITH s’interrogeait : « Pouvoir et richesses ... abritent de l’averse d’été, non de la tempête d’hiver, et vous laissent comme avant exposé à l’anxiété, à la peur et au chagrin, aux maladies, au danger, et à la mort ».

Depuis, la machine à produire s’est emballé : « Toujours plus » pour toujours plus de monde. Et l’on a perdu de vue que « produire, c’est détruire », que par conséquent « produire plus, c’est détruire plus ». Alors il y a le réchauffement climatique, la pollution... et partout la laideur triomphante. La démocratisation de la consommation multiplie les effets pervers, et par là, les motifs d’insatisfaction (embouteillages, surpopulation des plages ...).

Comme disait G.B. SHAW : « Il y a deux tragédies dans la vie : l’une est de ne pas obtenir ce que l’on désire, l’autre est de l’obtenir ».
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II

Poursuivant sa quête du bonheur, notre homme que l’expérience de consommation laisse frustré, a la faculté de changer son fusil d’épaule. Quand la sphère privée est source de déception, reste la sphère publique, symbolisée par l’action publique : la déception du consommateur ouvre la voie à la prise de parole du citoyen.
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Si l'on suit Mancur OLSON, quand bien même les bénéfices attendus de l’action collective excéderaient les coûts de participation, la possibilité d’obtenir un billet gratuit incite chacun à rester sur son quant à soi. Pour mobiliser, les organisations collectives doivent alors offrir à leurs membres des incitations sélectives (« piston », informations stratégiques, assurances, ...). Cette analyse rend bien compte de la vitalité relative du syndicalisme paysan, enseignant, médical ... mais échoue à expliquer, par exemple, les mouvements sociaux de 1968. Pourtant, la tentation du billet gratuit opère à fonds (les non grévistes gagnent sans avoir misé) et les incitations sélectives sont absentes.

C’est que le sujet olsonien, tel l’homo economicus, est un sujet dépourvu d’histoire. Chez un individu qui a fait l’expérience durable de la déception, le temps et l’énergie consacrés à l’action publique participent de la quête du bonheur. Parcve que le coût de la participation est partie prenante des bénéfices, la satisfaction augmente avec l’engagement. Loin de se dérober en essayant d’obtenir un billet gratuit, l’individu va rationnellement augmenter sa mise.
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III

Mais l’action publique n’échappe pas à la règle énoncée plus haut, qui veut que la déception est toujours au bout de la route.

Soit le but visé est atteint, et en ce cas il n’y plus grand chose à faire : que reste-t-il à faire aux abolitionnistes après l’abolition de la peine de mort, aux militants de l’I.V.G. après la loi Veil ? Soit le résultat espéré tarde à venir et en ce cas, le temps consacré à la cause devient de plus en plus coûteux. Ceci est d’autant plus vraisem-blable que, tout à son enthousiasme, le néophyte aura sous - estimé les coûts réels de sa participation. La déception serait alors la rançon du surrengagement. Selon le mot d’Oscar WILDE : « le Socialisme ne peut pas marcher, cela occuperait bien trop de soirées ! ».

Mais la déception peut aussi bien venir du sous - engagement tant il est vrai que nos Institutions démocratiques limitent l’intensité de la participation politique. En effet, l’orientation politique d’une démocratie découle du vote ... lequel, en fixant un plafond à l’engagement des citoyens, limite l’exercice de la passion politique.

Ainsi, les citoyens désireux de s’engager plus activement dans la sphère publique, sont-ils amenés à faire tantôt l’expérience du « Trop », tantôt celle du « Trop peu » ; de toute façon la déception est au bout de l’expérience.

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La déception du citoyen a son pendant chez l’homme public : passé le premier élan d’enthousiasme pour le Service Public, l’homme public butte sur le Principe de Réalité. Sentiment de vanité, frustration ... Il devient alors naturel de penser à soi.

La confusion des domaines publics et privés, qualifié de « Patrimonialisme » par Max Weber, a prévalu jusqu’au 19ème siècle. Elle n’implique pas que l’homme public renonce à servir l’Etat, mais permet qu’il se serve en servant. Or ces deux domaines sont désormais clairement distincts : un entrepreneur peut prétendre faire du bien en faisant de bonnes affaires, mais qu’un homme politique se mue en entrepreneur politique, et fasse de bonnes affaires en prétendant faire le bien, est inacceptable pour nos concitoyens.

Avec la déconsidération du politique, les citoyens désinvestissent la sphère publique, et reviennent à la stratégie du billet gratuit.

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Logiquement, le repli sur la sphère privée s’accompagne du renouveau de l’idéologie libérale. La métaphore de la Main Invisible n’enseigne-t-elle pas que c’est en oeuvrant pour son bien propre que l’individu concourt du mieux qu’il puisse au bien commun.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ce résumé est assez intéressant, mais s'agit il d'un résumé complet de l'œuvre ? Je 'arrives pas à m'y retrouver entre ce résumer et la table des matières du livre, qui ne contiens pas 3 parties, mais 8 ! Je vous remercierai de m'éclairer sur ce sujet.
merci d'avance,
Philian