13 juin 2010

La mondialisation et le football

La marchandisation du football et sa médiatisation croissante appelaient la constitution d’une élite de clubs de très haut niveau. L’arrêt Bosman a précipité les choses. En 1996, la Cour de Justice européenne a considéré que les règlements de l'Union Européenne de Football, limitant à 3 le nombre de joueurs étrangers par club, étaient contraires à l'article 39 du Traité de Rome sur la libre circulation des travailleurs dans les États membres. Par extension, la jurisprudence Bosman s’applique aussi aux 77 pays ACP ayant signé avec l’UE les accords de Cotonou (dont tous les pays africains). Les grands clubs peuvent désormais recruter à leur guise les meilleurs joueurs partout dans le monde.

En théorie, cette nouvelle donne aurait dû conduire à une concentration croissante des talents et des succès, les clubs les plus riches accaparant les meilleurs joueurs et les titres dans les championnats nationaux et européens. C’est effectivement ce qui s’est passé. Si l’on raisonne sur des périodes de dix ans, on observe une nette concentration au sommet des grands championnats :
.

Le même phénomène s’observe en Ligue des Champions. Dans les années 70 et dans les années 80, 26 clubs ont accédés aux demi finales, et seulement 19 dans les années 2000. La réduction du nombre des prétendants n’a pas faussé la compétition, puisque la rotation des champions n’a pas diminué : 8 clubs vainqueurs dans la décennie 2000, autant que dans les deux décennies précédentes, et deux fois plus que dans les années 70.


« L’origine de cette concentration au sommet est évidente, explique Branko Milanovic. Les clubs les plus riches peuvent désormais attirer les meilleurs joueurs du monde ». Pareille concentration des talents amène celle des succès, en raison de ce que les économistes appellent des rendements d'échelle croissants : « lorsque les meilleurs joueurs évoluent ensemble, la qualité de chacun, et de toute l'équipe, augmente de façon exponentielle ». Quand Messi joue au Barça, sa productivité (le nombre de buts marqués, de passes décisives) est très supérieure à la productivité qui aurait été la sienne s’il avait joué à Santander ou à Malaga, avec des joueurs moins talentueux.

Tandis que les écarts se creusent entre les équipes de clubs, c’est l'inverse qui se produit entre les équipes nationales. Pendant les dernières coupes du monde, on a vu émerger des pays comme la Turquie, le Sénégal, la Corée du Sud, le Cameroun, les Etats-Unis. A ce niveau, il n’y a plus de petites équipes.

Au fil du temps, le nombre d’équipes engagées n’a cessé d’augmenter : 16 jusqu’en 1978, 24 jusqu’en 1994, puis 32 depuis 1998. Autrement dit, la Coupe du Monde s’ouvre à de plus en plus de petites équipes. Pourtant, loin d’augmenter, la proportion d’équipes terminant le tournoi avec trois défaites pour trois matchs disputés, n’a cessé de diminuer. 

Nombre d’équipes comptant trois défaites sur trois matchs disputés, au 1er tour de la Coupe du monde (poules de 4)
66
70
74
78
82
86
90
94
98
02
06
10
14
2
2
2
2
3
2
4
2
2
3
2
2
3
Moy. : 2
Moy. : 2,75
Moy. : 2,4
Taux : 12,5 %
Taux : 11,5 %
Taux : 7 %
16 équipes
24 équipes
32 équipes

Branko Milanovic voit deux raisons à cette convergence des équipes nationales. En premier lieu, la mondialisation permet aux bons joueurs des petites nations de se frotter aux meilleurs joueurs du monde, dans les grands championnats. Il est clair qu’un bon joueur coréen ou camerounais progresse plus s'il rejoint Manchester United ou Barcelone que s’il était resté dans son pays. Or, la quasi-totalité des joueurs africains de la Coupe du Monde évoluent en Ligue 1 des grands championnats européens. En second lieu, les règles de la FIFA interdisent aux joueurs de jouer pour une autre équipe nationale que celle de leur passeport. Ainsi, Didier Drogba peut jouer dans le club de son choix, mais en Coupe du Monde des Nations, il ne peut jouer qu’avec l’équipe de Côte d’Ivoire [1]. Cette règle permet aux petits pays du football de profiter des retombées de la mondialisation, en captant une partie des bénéfices de l’élévation du niveau de jeu.

Conclusion

Dans le football aussi, la mondialisation redistribue les cartes. Dans chaque pays, elle augmente les inégalités entre les petits et les grands clubs. Dans le même temps, elle réduit les écarts entre les équipes nationales. Mais, n’en va-t-il pas de même pour les autres domaines d’activités ? D’un côté, la mondialisation permet aux pays pauvres de rattraper leur retard, contribuant à réduire les inégalités internationales de niveau de vie. D’un autre côté, elle tend à augmenter la productivité des individus les plus qualifiés et les plus talentueux relativement aux moins qualifiés, aux moins talentueux, contribuant à accroître les inégalités intranationales des niveaux de vie.

Bibliographie

Branko Milanovic, économiste à la fondation Carnegie : Le foot, industrie sans frontières, Le Monde, 7 juillet 2006, et Globalization and Goals : does soccer shows the way ? -- Working Paper, dec. 2003

Calculs perso effectués à partir de Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Championnat_de_France_de_football

http://fr.wikipedia.org/wiki/Championnat_d'Italie_de_football
http://fr.wikipedia.org/wiki/Championnat_d'Espagne_de_football
http://fr.wikipedia.org/wiki/Championnat_d'Angleterre_de_football
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_des_Champions_de_l'UEFA
http://fr.wikipedia.org/wiki/Coupe_du_monde_de_football

Notes

[1] Depuis janvier 2004, la FIFA permet à un joueur disposant de la double nationalité de changer d’équipe nationale, mais il doit pour cela avoir moins de 21 ans et n’avoir jamais joué dans l’équipe nationale du premier pays

2 commentaires:

Gromovar a dit…

Brillant

JorgeGiac a dit…

Briiillaaaaaaaantt!!! Certe page m’a beaucoupe aider dans mon TPE et dans mon economie du FIFA 19. Merci Clauuuuude!!